Commentaires et critiques



       

  (Christian Pelletier)

 

 

       

Christian Pelletier. Agrégé de l’Université, est spécialiste
de Max Jacob. Il a consacré de nombreux travaux à des écrivains méconnus, notamment à Henri Petit.
L’article qui suit a été publié dans le No 4 de la revue C.R.A.M., en mars 2007.


Théo Crassas, poète lyrique

«Les vagues fastueuses
de tes cuisses
se brisent sur la poudre blanche
de tes hanches
comme le Nil palpite
en approchant de son delta,»

C’est ainsi que s’ouvre le premier poème, «Vagues
fastueuses» du recueil Archipels de Coquelicots du poète
grec de langue française, Théo Crassas. Depuis 1977 et le
Miel dans le Mal, il poursuit une oeuvre lyrique, ponctuée par
des textes publiés de manière régulière, qui n’a peut-être pas
bénéficié à ce jour d’une juste audience.
L’extrait cité rend bien compte de la teneur et de la tonalité des poèmes: l’exaltation de la beauté du corps féminin. On sait
que Marot avait lancé la mode des «Blasons anatomiques du corps féminin» au travers de formules paratactiques et répétitives. Chez Théo Crassas, la comparaison en est la pierre angulaire. On a souvent reproché aux blasonneurs de tailler par trop en pièces le corps féminin. Chez Théo Crassas, la gracilité, la fluidité, la grâce s’imposent dans l’unité. Même lorsque le mot n’est pas ratifié dans un usage poétique:

«Des vulves
pareilles à des châtaignes d’eau,
serties dans des roches aquatiques»
«Amour»

Les formules sont souvent heureuses:

«Je sens le gondolement
sur la mer de ton corps,»

«Les fesses des vierges
humilient le lait des brebis,»

Le poème qui s’intitule «La Volonté d’Unité» exprime bien le désir d’universalité de Théo Crassas. Les références antiques grecques voisinent avec les divinités (extrême-) orientales.
Quatre des six poèmes du recueil Boîte à Rossignols se proclament «Odes» et Europe, Afrique et Asie sont convoquées par la sensualité:

«Lumière de pagode transparente,
moule astartéen
de l’Orient éternel,
grâce immarcescible
de colonne d’Ionie,».

Les divans (recueils de poésie) de Ibn Arabi ont souvent été
évoqués à propos de Théo Crassas. Le philosophe a été mis à l’honneur par le soufisme, ce courant de l’Islam qui met l’accent sur l’expérience intérieure.
Le frémissement dû à la grâce des hanches féminines est moins tribut payé aux sens que culte rendu à la
création -créature- de Dieu. Tout comme Ibn Arabi dont on se souvient que son inspiration est motivée par une femme persane rencontrée à La Mecque. Spiritualité et érotisme:

«Ton feu nourrit
l’ampleur de tes hanches
comme ton ardeur
attise le tocsin
de ton âme,»
«Ode à la reine des Pensées»

Deux occurrences du mot «escarpolette» (mot plus vieilli que la chose), dans un contexte similaire, méritent l’attention. Dans le poème inaugural d’Archipels de Coquelicots»:

«Le mouvement des escarpolettes,
ces éducatrices des filles,»

Et dans le texte «La Volonté d’Unité», dans le recueil Boîte à Rossignols:

«Au parc,
d’où s’élancent les escarpolettes,
intemporelles révélatrices
de jeunes filles,»

Les connotations homonymiques s’imposent. «Escarpolette»:
L’écart, l’écartèlement, l’escarre(étymologiquement, objet en pointe) héraldique-on revient donc au blason! L’escarre et le filet(souvent écarlate ou violine) de l’écu écartelé.
Le lexique de Théo Crassas est riche. Et son français est exempt des facilités des néologismes, des créations artificieuses. De nombreuses comparaisons, quelques images mais pas de recours abusif au «stupéfiant image» selon la transe rimbaldienne revisitée par les surréalistes. Théo Crassas
cisèle son style dans «Fulgurances de Lune» (Boîte à Rossignols):

«Un coucou du Bengale
entonnant l’hymne
en l’honneur de Radha,
l’âme bénie de Krishna,
une flûte de bambou,
un shamisen de geisha,»
Visée à la fois explicative et euphonique. Vent et corde (le shamisen est un luth japonais), nature et culture, sens et son.
Texte érotique où l’Eros antique assemble et unit tous les éléments de l’univers, liquides, fluides, êtres….
Contrairement à la femme entrevue par Ibn Arabi au XIIIème
siècle, à Laure ou à Béatrice, la femme inspiratrice n’est identifiée ni identifiable. Mais elle ne cède en rien à ses illustres devancières -plus encore si elle est unité de femmes….
La poésie de Théo Crassas est à découvrir par la lecture et plus encore par la déclamation- action de grâces à la Femme.

Christian Pelletier

Un ouvrage publié en 1998(Presses de Saint-Paul 55000 Bar-le-Duc). Comprend trois recueils, Archipels de Coquelicots, Boîte à Rossignols et Arbres d’Or.

       

 

       

Lettre de Christian Pelletier datée du 20-IX- 2010

       

Cher Monsieur et Ami,


Merci pour la fidélité de ces envois. Je retrouve dans votre recueil "Jus de Mangue", votre veine, votre verve, la sensualité des mots.
Avec vous, l'EROTISME(votre attraction qui unit plantes, animaux, humains), (re)devient
fascinant pour l'oeil et l'ouïe.
La poésie, c'est tuer, étirer la langue. Avec vous, croupe, utérus ou sperme
ne sont pas des mots-outils abâtardis, comme trop souvent en notre époque.
À contre-courant de la "poésie" de ces décennies dernières, où la
sécheresse des tons et l'économie des moyens confinent de facto à l'indigence,
vos textes ont une ampleur, une générosité, une hardiesse qui (ré)conforte.
Vous n'évoquez pas la géo-stratégico-politique Thaïlande, mais bien le royaume de Siam et ses sortilèges("Jus de Mangue" ou bien "Le Papillon aux Ailes d'Azur").
Vous lire, vous dire, vous déclamer-expériences en ont été faites-, c'est comme une active complicité, tant à la fois amusée, émue, sensuelle, poétique, sexuelle
et autre.

       

Cordialement en Poésie
Christian Pelletier