Commentaires et critiques



       

  (Cécile Oumhani)

 

 

       

L'écriture de Théo Crassas s'inscrit à l'opposé des formes qui s'épurent jusqu'à en devenir fragments entrecoupés de vides où se disperse leur écho. Ses poèmes sont un chant ininterrompu, qui se déploie sur une ligne mélodique scandée par des reprises. Celles-ci lui donnent sa cohérence, son unité tout en introduisant des variations qui font que la musique est là, sans être jamais tout à fait la même. On y découvre une gamme de reflets, qui se répondent comme les plis et les replis d'une étoffe splendide qui serait offerte au vent et au soleil.

Il faut souligner aussi la puissance de ce chant qui emporte comme le courant

d'un fleuve. Très souvent, ces poèmes sont l'invocation de la femme aimée, un hommage à son corps transfiguré, devenu l'univers de l'homme qui l'aime. Ils sont portés par la force d'une passion qui métamorphose le monde au nom de la femme: «les blanches colombelles/chantent la Dame/la plus sublime/dont la face/est gravée dans notre ciel bleu/et dont le corps/est inscrit/dans le dallage de marbre/de nos rues propices au rêve magique! («Les noces de Dante» dans Savanes de zèbres). Car il est bien question de magie ici et l'adresse qui est faite à la très spirituelle, à celle qui vient, à celle qui attend, à la Majorquine ou à la coureuse est en fait une incantation: Tu es un cerisier solitaire(...) Tu es le Guadiana(...) Tu es la danse(...) Tu es le doux jaguar(La coureuse dans Savanes de zèbres). Le chant se referme autour de celui qui le lit par la propagation d'un charme auquel on ne peut échapper.

Théo Crassas enchaîne les images les unes aux autres comme autant de perles sur un collier qui n'a pas de fin et irrésistiblement s'enroule, entraîne vers les rives d'un monde où scintillent et chatoient amantes, terres lointaines, pierres précieuses, arbres, fleurs et animaux. On y découvre le poète pleinement abandonné, offert à la vérité et l'intensité de ses émotions. Il puise aux quatre coins du monde dans une multiplicité de références culturelles(Sémiramis ou Lakshmi, Cléopâtre ou Béatrice,

madonne ou fauve). Sa poésie s'enracine dans l'immensité d'un monde pluriel pour dire la force de ce qui le subjugue. L'accumulation des images crée un espace hybride dont la richesse rappelle aussi certaines écritures élisabéthaines. Le poète rapproche temps et lieux dans la vaste entreprise de décloisonnement qui sous- tend son hymne à la femme, à l'amour et à la vie.

Théo Crassas est grec et entrelace la langue française qu'il a choisie pour écrire de la splendeur de tous ces fils aux couleurs venues d'ailleurs. Il la tisse de lumière, l'enrichit de sonorités, d'échos qui résonnent dans son chant d'Orient, jubilatoire et rutilant, naviguant entre évocations de jardins coraniques et réminiscences du Cantique des Cantiques: «C'est autant/de sources de miel/de fontaines de vin/de lacs de lait/de ruisseaux ombreux/où les clavecins coulent/en des sonates intarissables»( à l'amante espiègle dans Savanes de zèbres).

La voix de Théo Crassas interpelle et émeut par sa singularité. Elle a une richesse insolite, toujours ouverte sur la diversité enivrante des mots et des images. Elle entonne une mélodie que le lecteur refuse de voir s'éteindre dans le silence et lorsque celui-ci advient enfin, elle continue de se propager en lui.

       

Cécile Oumhani Revue «Encres vagabondes»