Ode À Empédocle
Ô Empédocle, géant singulier
à la puissance joyeuse!
Porté par un fleuve souterrain,
tu transperçais la glèbe divine
comme un oeillet rouge
du renouveau!
Sur ton passage bienvenu
des ruisseaux se mettaient
à couler
semblables aux bouches de Pasiphaé
qui tissaient des labyrinthes d'onyx
où étaient gardés prisonniers
les taureaux du Soleil,
pour le plus grand bien
de la Terre - Mère!
Autour de ta voie sublime
tu répandais
une étrange générosité
faite de praxis chamanique,
de débordement magique
et de mort dionysiaque!
Tu faisais régner
de par ton être fascinant,
une liberté sacrée
de sphère de feu,
de boule de soufre,
de rotation lunaire,
de tournoiement d'aigles,
d'écume de source tourbillonnante
et d'inondation d'Éros!
Car la liberté que tu offrais
à pleines mains
était une liberté féconde
d'âge d'or
due à la fertilité
des anges d'abondance,
une Liberté
d'enlèvement de Proserpine,
de béance solaire,
de chemin intérieur
se perdant
dans les viscères sphériques
de l'Etna,
de haute mer
aux flots de pourpre,
de noir navire
voguant sur les océans de vin
de l'Extase,
et jetant l'ancre
dans la vulve de l'Univers,
de cygne
pondant ses oeufs
dans les songes
des dieux créateurs,
de chant d'alcyonne
en Décembre,
d'hirondelle
retournant d'Égypte,
de nymphe ondoyante,
de fée
surgissant des cataractes immortelles
avec ses cheveux
comme habits merveilleux,
de hanche satinée
d'Aphrodite,
de sein de vierge,
de chevelure parfumée
de courtisane,
de visage velouté
d'Eurydice,
de main aux doigts roses,
de cuisse -pain du contentement,
de beauté pure de lait,
de champ enneigé,
de désir de Priape
accompli dans l'éternité
du tellurique Instant,
d'élan terrible incestueux,
de mystère
jaillissant du milieu
des forêts,
d'orgie de colline sensuelle,
de plaine opulente
fertilisée par les satyres
comme un sexe
voluptueusement offert
aux forces de la nature,
de lièvre ardent
couvrant sa femelle,
de daim poursuivi par Diane,
de carpe nageant
dans un étang smaragdin,
de sang rouge
d'un jeune animal,
de couronne de myrte
d'épousée,
d'épanouissement de flûtes - fleurs,
de floralie générale,
d'hymne de noyer mystique,
d'amandaie triomphale
épousant, sous la bénédiction des Heures,
l'Hiver,
de pomme primordiale
donnée par Ève
à Adam,
de souffle de Schéhérazade
dans les jardins de romarins,
de racines
amoureusement enchevêtrées,
de fond
de rivière diaphane
où les anguilles
dansent avec les galets,
d'haleine grandissante
aquatique,
de Pégase naissant des eaux,
d'antiquité panique,
de garenne
parfumée d'odeurs terrestres,
de cigale
chantant l'Amour
dans les arbres d'or,
de rossignol
mimant Parvati
en train de séduire
Shiva,
de chant de Médée
ensorceleur de dragon,
de rythme de bacchante,
de course de ménade,
de boyau de brebis
tressé en corde de lyre,
de dithyrambe naxien
adressé au métal précieux
des yeux d'Ariane,
d'Orphée
enchantant les génisses
rebelles au joug,
de tête de Méduse,
violente comme une flèche
d'ébène,
de chair palpitante
comme le tambour
du rassemblement des peuples,
de masque bachique,
porteur de saveur
pélasgique,
de nuit sauvage
de l'Âme
de Parnasse
parcouru par les Thyades
aux pas de folie,
de Zacynthe
surprise par le zénith
de midi,
d'aurore miraculeuse,
de crépuscule salutaire,
de char nuptial
tiré par sept chevaux - étoiles,
de lierre béotien
sacrifié à Dionysos,
de foyer rond
de palais somptueux mycénien,
de colonne cnossienne,
trapue, cosmique et luxurieuse,
de saint hémisphère
de ligne courbe
lumineuse
procédant des cieux
traversés par la Terre,
d'Hellade
voyageant dans les espaces
interstellaires,
et, enfin, d'Acropole
de l'Esprit!
Guérisseur, Poète,
Mystagogue et Extravagant,
dans les rues d'Agrigente
tu coulais des jours heureux!
Mais libre
comme un Titan vainqueur
de Zeus,
tu finis par te jeter
dans le cratère du ciel,
d'où tu t'épanchas
dans la voie lactée,
astre parmi les astres!
Ô noyau de fureur tragique,
ô Cerveau
de surhumain amour,
ô Astre de sagesse,
que la voûte nocturne
te soit légère!
ARBRES D’OR
AOUT 1998. AUTOEDITION