Du Voile En Amour


Comme un pacha ottoman,
pied de la maîtresse
et seigneuresse de ma vie,
assis sur la terrasse d'un vieux café
au milieu des marins et des aventuriers,
je me repose de la lecture du Coran
et de l'extase par la prière
en buvant le vent de mer,
le suc des ormeaux
et le vin des platanes
qui tous me suggèrent
le sang chaud de ma Bien-Aimée
aux joues rondes et rouges,
aux yeux noirs et veloutés
comme la musique du santour,
comme l'onde lacustre
et comme la nuit sur la Caspienne!


Et la fumée de mon narghilé
au parfum insinuant d'Eve
évoque pour moi le voyage unique
que je rêve d'entreprendre un jour
en compagnie de la jouvencelle désirée
comme jamais de mémoire d'homme et de femme,
fille ne fut désirée
par un gentilhomme imbu de son propre honneur
et prêtre de surcroît
à la vertu adamantine!


C'est que ma Bien-Aimée est
Turque et voilée
et je ne désire rien moins
que la réalité!


Oui, je préfère que l'amour
se passe comme sur une scène de théâtre
ou d'opéra,
où les masques sont nécessaires,
et où les déguisements sont exigés même
par le jeu doux-amer
de la fantaisie la plus libre
et de la plus pure des Transcendances!


C'est ainsi que j'entends la liberté:
un mystère à élucider,
une énigme à résoudre,
et non un fait divers à vivre
ou une anecdote amusante à raconter!


C'est que je suis sage
et ne veux rien tant
que le drame se noue
afin que je jouisse royalement
de son dénouement,
à travers la Catharsis de la passion
et des larmes de douleur
ou de joie extrêmes!


Et voilà pourquoi dans l'Europe moderne
qui s'est débarrassée du drame,
il n'est que des faits,
et point d'art,
et point de spéculation métaphysique!



Absence affligeante de théogonies,
néant des sciences de la destinée,
voilà le tableau ahurissant
et sur fond de cris inarticulés,
qui tant déplaisent aux vrais primitifs,
de l'humanité actuelle!


Or, comment peut-on respirer,
comment peut-on vivre,
sans spéculer sans cesse?


C'est dans l'adoration,
c'est dans le culte de l'Homme-Dieu
ou de la Femme-Déesse
que gît le secret du poète
comme un dragon qui protège
l'entrée du Paradis!


Et c'est ce dragon qui prononce la parole puissante
purifiant le corps
voué à la beauté!


Car c'est une source de lumière et de gloire
que de magnifier le divin dans la femme
comme dans l'homme!


RUELLES DE STAMBOUL

RECUEIL INEDIT. SEPTEMBRE 2004