Le Chant de Gualdaquivir


Sur la Place du Triomphe
où se rejoignent
ton sein bleu
comme la Sierra Nevada
et ton cul royal
de jasmin d'Arabie,
de pourpre cardinalice,
de tulipe turque
et de flamboyant camerounais,
se battent
les aigles de ma destinée
avec les jaguars de ton Amour,
à qui d'ores et déjà
je déclare vaine
toute résistance!


Car j'ai atteint
le paroxysme du Désir,
le point culminant
au-delà duquel
le grand fleuve
de mon corps
s'élance dans la plaine,
ayant rompu
toutes les digues,
et inonde la vaste
Andalousie!


Qu'importent
les ponts et les barrages
placés sur mon chemin
par les anges déchus,
puisque ils ne tiennent pas
devant ma force abrupte
où l'Ibère
venu d'Afrique
se joint au Phénicien,
au Grec, au Carthaginois,
au Romain,
au Vandale, au Goth,
à l'Arabe, au Berbère
et au Gitan!


Balayant tous les obstacles
dressés sur ma route
comme des épouvantails,
je finirai par traverser
l'Auguste Séville
et par me jeter
dans l'océan immense
où, m'embarquant
sur les caravelles
de Cristobal Colon,
je gagnerai
le pays des Caraïbes,
puis l'empire des Aztèques,
puis la contrée des Mayas
et, enfin,
l'empire des Incas!


Mais sur les Sept Cents
Lieues
de mon expédition espagnole,
que de jardins je Crée,
et des cités fameuses,
et des palais grandioses!


Combien de jeunes femmes
fières de leur chair vigoureuse
ne se penchent-elles pas
sur mes eaux
afin d'y voir mirée
leur gorge de Kilimandjaro
ou de Sierra Morena!


C'est que je suis
le Fleuve,
Fils d'Hercule,
Mari de la Bétique
et Père des Poètes,
des Peintres, des Sculpteurs
et des Architectes!


Le divin Luis de Gongora
et le grand Diego Velasquez
sont issus de mon sperme
uni à ton ovule!


Et grande est ma peine
quand tu me refuses
un baiser
ou la caresse suprême!


Alors, je m'en vais
pleurer dans la Sierra
qui m'a vu naître
et mes larmes tombent
dans le détroit de Gibraltar
et arrosent Tanger
la Bleue!


Tels sont,
ô Amie mienne,
mes peines et mes travaux
qui ont ému
jusqu'à Homère
dans la lointaine antiquité
et jusqu'à Federico Garcia
dans la modernité!


Que les canons
des trompettes de feu
te célèbrent,
ô Femme Amie
illuminée par le vin
de Malaga
et par le clavecin nacré
des Ménines,
et bénie
par la mélodie des Astres!


SANG ROMAIN

EDITIONS ENCRES VIVES.COLL. ENCRES BLANCHES. FEVRIER 2001