La Frégate Amoureuse


Tu es une frégate
en train de prendre la mer,
toute vêtue de noir
et cependant resplendissante d'Or
à la poupe
et à la proue
et dont la mâture dorée
ressemble au peigne d'or
des filles de Valence!


Ainsi tu t'en vas,
emportant dans ton coeur
quelques vers d'Ibu Zamrak,
poète et vizir de Grenade,
dont on peut encore
lire les poèmes
sur les murs délicats
de l'Alhambra,
quelques vers
qui disent
la nécesaire accessibilité
de la Beauté
qu'aucun décret divin
ne saurait rendre opaque!


Tu fais face
aux premières vagues
de l'océan
avec élan
comme une jeune femme
qui balancerait ses fesses
de sombre revêtues
sous la ceinture de platine,
emportée par le maëlstrom
du Désir!


À Palos
une flotte t'attend
composée de grands galions
qui t'accompagneront
dans ton voyage maritime
vers les Amériques!


Cependant, tu n'es pas prête
d'oublier de sitôt
la terre andalouse
qui a vu naître ton esprit!


Car tu portes
sur ta gorge
parée d'un collier d'émeraudes
ainsi qu'une colombe
les poésies,
adhérant à ta peau nacrée,
d'Ibn Hazm,
cet autre Andalou,
dont l'enthousiasme
te fait revivre,
ce poète distingué
t'ayant nommée
à la fois objet
et sujet d'Amour!


Et tu te mets en branle
tout entière
sous mon regard
comme une nef
en rade à Almeria
est dirigée par un jeu de miroirs
venant de la forteresse arabe!


Le bracelet de corail
que tu portes à ton poignet droit
t'aide à nager
dans l'Infini d'Amour
d'Ibn Arabi,
ce natif de Murcie
qui voit en ton corps,
à notre grand étonnement
à tous deux,
non une oeuvre d'art
faisant appel
à l'imagination d'un individu
mais la propre épiphanie
de la Divinité!


Ton sourire délicieux
pareil au Patio des Myrtes
dans Alhambra la Rouge,
rend compte
de mon Esthétique de la Bonté,
la seule à mon sens
pouvant agir
avec efficacité
sur l'humaine destinée!

Et toi, d'intervenir
avec l'intelligence
de ton nonchaloir
dans mon dialogue
avec moi-même,
me faisant ainsi ressembler
à un claveciniste des Lumières,
voire à Utamaro,
maître nippon
sensuel et élégant!

Tes petits pas
quand tu t'approches
ou tu t'éloignes
font partie de ma contemplation
comme les pattes
en mouvement
d'un cygne blanc!


Mais mon plaisir
le plus profond,
celui qui m'engage
à tes côtés,
vient de ton bassin large,
pareil à l'aurore
sur l'Alcazaba!


Ne cherche pas,
je t'en supplie,
à amoindrir le relief,
si érotique et si vertigineux,
de ton corps,
te sentant peut-être
humiliée d'être femme!


Ne cherche pas
non plus
à dissimuler la féminité
de ton âme,
car je ne vois guère
en elle une faiblesse
mais au contraire
une force
m'entraînant vers les rêves
les plus puissants
et les délires
les plus efficients
que puisse concevoir
une tête de corsaire
barbaresque!


SANG ROMAIN

EDITIONS ENCRES VIVES.COLL. ENCRES BLANCHES. FEVRIER 2001