La Gitane


Tes yeux égrènent les vagues
se croisant, s'entrechoquant
sur la plage déserte
où le Soleil
goutte dans les nuées de tamaris
et dans tes cheveux violacés,
cependant qu'au loin
sonnent les cloches de l'Exaltation
qui de cime en cime
franchissent les montagnes
et se perdent dans le ciel,
par-dessus les colonnes
du Monde!


Ta voix de cantaora
couvre toutes les autres
dans le choeur des collines côtières
marocaines et andalouses
que tu domines
et où Hercule
souffle dans une trompe de cuivre
un maëlstrom de monstres vaincus
et se repose après à Cadix,
sous les ailes d'Atlas!


Vêtue d'une robe
de brocart cramoisi
et portant dans les cheveux
un peigne d'or,
tu invites des tours de Serranos
à la fête des fallas
à Valence, l'Africaine
née en Europe,
non loin d'Elche
où les statues grecques
disputent aux palmes
le salut de l'Âme,
et les Carthaginois intrépides
aux Romains austères
l'empire d'Espagne!


Comme une chienne de feu,
tu te dresses sur les remparts
d'Almeria
d'où tu annonces,
par le jeu des miroirs byzantins,
l'avance chrétienne
et la chute finale
des Maures!


Entre tes mains souples
qui ont caressé le corps
de tant de roses,
tu tiens une guitare
aux cordes d'Amour,
au manche d'aube de Sierra Nevada
et à la caisse
de mer de Malaga!


Et tu joues
une musique de jacinthes bleues
dans la fièvre
de la nuit étoilée
de Grenade,
de Séville illuminée
par la Giralda
et des danses flamencas
évoluant entre les astres
visités par les donzelas!


Tes prunelles
sont des rivières du Futur
qui, comme les Ramblas,
descendent à la mer
et brillent d'oeillets rouges,
tout en embaumant
de nard de la Lune!


Et Sainte Eulalie
y brode des croix
et parle
et chante
en tissant le destin!


Tu hisses l'étendard
d'une félicité imprévue,
sans bornes
comme la folie,
et tu ressembles alors
à ces blancs navires
qui croisent en rade de Barcelone,
arborant le pavillon
du Roi!


Et telle est ta noblesse
que tu ne t'offusques point
de la paix lourde
des simples,
mais tu répands
autour de toi
les anémones légères
de la liberté illimitée
et la fraîcheur
qui ne trompe jamais,
car elle vient
des ruisseaux célestes!


LA MOSQUEE DE SATIN

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS
COLLECTION MIMESIS POIETIKE
MARS 2001