La Libertine


Il y va de ma passion
quand, l'épaule dénudée
et le sein à moitié nu,
tu te jettes dans ce lit
parfumé de lavande
pour y jouir des serments de mon ivresse
et des suffrages de ma tendresse!


Il y va de ma vie
quand, les reins cambrés
et les flancs rebondis,
tu passes comme un flamant rose,
le temps d'un éclair,
devant mes yeux fervemment enamourés,
étonnés des largesses de ta luxure
qui rend puissants les eunuques
et ressuscite les morts
et accable du soleil de sa bonté
les juges les plus rigoureux
et mord au coeur
les serpents venimeux!


Car en ces instants
où tu atteins
le zénith de ta lascivité,
tant tu surprends mes sens
et tu m'enlèves tout reste de raison,
que je suis ébloui comme Baudelaire,
étourdi comme Verlaine,
assourdi comme Wagner,
hors de moi-même comme Ingres,
à l'état de stupeur comme Mallarmé
et vaincu comme Nietzsche!


Et Voltaire lui-même
ne se rirait plus de l'Autel,
s'il savait que l'Autel,
c'est toi,
toi l'Eglise, toi la Rédemption,
toi tous les cultes,
toi toutes les adorations,
toi toutes les dominations,
toi tous les troubles
et toutes les séditions,
toi toutes les icônes
et toutes les destinées
et la Parque même de la naissance
et de la mort!


C'est que tes yeux
ont la forme
suprêmement élégante
des olives de Kalamata
et en ont toute la saveur bénie,
consacrée par tous les amoureux!


Ta bouche est un flacon
de senteur sauvage
et une coupe pleine de vin de Chypre!


Et toute entière,
tu es le clairet
que buvaient Richard le Coeur de Lion
et tous les Plantagenêt!


Ta coiffure est la même
que la coiffure qui ornait
les têtes bien-aimées
des danseuses sacrées de Sparte
aux fêtes d'Hélène!


Non, je ne saurais porter
en plus haut lieu mes caresses
qu'en le temple corinthien
de ton ample bassin,
entouré d'oliviers en fleurs d'Argolide,
et où les archanges
dansent avec les courtisanes
en un ballet parfait de fleurs,
inspiré de ta toilette printanière!


Ô toi, la conductrice du char de mon âme,
je ne m'aime que pour te mériter
et ne désire me connaître moi-même
que pour te connaître
telle qu'en toi-même!
Et c'est de cette façon
qu'on aime
et qu'on est aimé!


Telle est l'excentrique liberté
qui préside à mon élan
vers ta personne,
que tu règnes sur ma jeunesse,
sans nullement me tyranniser!


Et tu obtiens de ma volonté
plus qu'un monarque absolu
obtiendrait de ses sujets
par la crainte!


Cependant, tu ne me suggères guère
des pensées de servitude,
mais des idées d'apostasie!


Et l'on peut dire
que le destin, si peu favorable
à mon coeur,
en toi me fait justice
et qu'il n y a rien
que je ne tienne de toi!


LE SANG DES ILES

RECUEIL INEDIT. AVRIL 2005