À La Belle D'Yémen
Je regrette l'Yémen aux anciennes cités,
aussi vieilles que le monde,
et où les adolescents et les jouvencelles
s'aiment de leurs yeux,
qui sont pareils
à des perles non perforées,
encore humides de leur séjour
dans les plaines marines!
Je regrette Sana,
la capitale yéménite,
où les vierges, accoudées à leur fenêtre,
font l'oeillade aux princes arabes
qui passent, montés sur des mules
artistement harnachées,
aux brides d'ébène
et aux étriers d'or!
Quelques-unes de ces adolescentes
sont disponibles
comme des navires de joie
pour des amours romanesques
ainsi que des contes de fées,
longues comme la passion,
ferventes comme le plaisir,
et suaves comme des sorbets à la rose
bus en douce compagnie
sous les palmes d'Asie!
Ô jeune fille rencontrée
sous les ciels encore libres d'Arabie,
ce pays des âmes fortes,
tu ne m'es nullement mystérieuse,
car tu ressembles à l'eau limpide
d'une fontaine de jardin caché
et tu ne fais aucun mystère
de ta foi en Allah
et de ta confiance dans la destinée!
Les pigeons blancs
sont-ils mystérieux?
Pourtant, ils semblent étranges
aux hommes qui n'entendent point
le langage des oiseaux,
bien que celui-ci porte en lui
des traces de Révélation!
Seulement, tu exiges de moi
la discrétion absolue
et tu souhaites et ordonnes même
que je ne divulgue point
notre secret,
et que je garde
dans les profondeurs de mon coeur
ton souvenir
ainsi qu'un rubis,
objet de valeur,
sujet de sapience,
accusatif de sagesse,
substantif de saveur,
nom propre unique par sa race!
Exilé dans ce pays d'oppression,
je regrette les jours anciens
où l'homme était un aigle
et échangeait avec sa Bien-Aimée
des regards et des baisers d'aigles!
Et j'évoque ces aubes
et ces aurores
où les poètes, pâmés dans les bras
de la pleine lune,
chantaient l'amour
comme des rossignols
ou comme des bulbuls!
L'amour est-il donc interdit
dans nos villes d'Occident,
si fières de leur servitude?
Oui, il ne survit plus
que comme un euphémisme
recouvrant des choses fades
et sans goût,
et la liberté des femmes
ne désigne plus
que la liberté des vipères,
quand ce n'est pas
la liberté des anacondas,
des boas, des cobras,
et d'autres serpents venimeux,
pleins de charme!
Ô Passant naïf
de nos rues grises de forcenés,
regarde et passe ton chemin!
Ton destin n'est pas
d'être un chasse-mouches!
Car ils ne sont pas encore nés
les Européens qui te comprendront!
DATTES D’OR
RECUEIL INEDIT. JUIN 2004