La Bien-Aimée De La Jeunesse


«La houri et la péri
sont des enchanteresses,
mais il en est une
et plus belle et plus rare»
Hafiz



Comme la Bien-Aimée de ma jeunesse
était belle!
Tant belle elle était que quand
je pense à elle,
je me déchire comme un bouton de rose
écrasé par un cruel amour,
ou comme un pétale de jasmin
chu sur l'humble chemin,
ou comme une fleur d'oranger,
fanée sur l'arbre même qui la portait!


Soleil était son nom,
Lune son prénom!


Arabe était son père,
maure sa mère!


Si ma mémoire est bonne,
elle portait sur la tête
la ville de Grenade en diadème,
et son haut peigne
était une Alhambra d'or
dans la nuit d'Août
de sa noire chevelure
qui embaumait du musc
de sa première jeunesse!


Quatre guitares de Séville,
tenues par quatre gitans
ayant aux doigts
deux bagues de rubis chacun,
soulevaient ses bracelets de pied
qui traçaient des routes de cuivre rouge
sur la terre d'Andalousie,
aimée de toutes les roses
du vaste monde!


Et sa hanche de gloire
était le califat de Cordoue
au zénith de sa splendeur,
quand le grand Abd-al Rahman III
recevait en sa cour
les meilleurs artistes de l'univers!


Son nez était celui
d'une galiléenne d'Arles!


Ses yeux étaient ceux
d'une jeune fille de Crète,
car ils semblaient
des roses accablées de soleil
et avaient la douceur
du miel de thym!


Mais ils me fascinaient
comme les yeux d'une gazelle!


Et les regards qu'ils lançaient
étaient aussi touffus
que la palmeraie célèbre de Marrakech,
et ainsi aigus qu'une lame de Tolède!


Tant étaient beaux ses yeux
que mon coeur s'y perdait,
naufragé dans leur blanc
comme dans un archipel
agité de soixante vents!


Pour ses noires prunelles
et pour ses mains délicates
comme le parasol de l'empereur du Pérou,
et qui semblaient des coquillages de nacre
qu'aurait rejetés sur le rivage
l'océan de ses avant-bras,
j'ai renoncé à la vie éternelle
et à tous les mirages
où se profilent des silhouettes de dévots!



Cependant, seul Allah
possède la clé de l'énigme,
non résolue à ce jour,
de cette amour mienne!


Non, tant que je respirerai,
je ne voudrai pas en trancher le noeud
comme Alexandre-Iskender
trancha le noeud gordien!


Ô Hafiz, mon doux poète,
de l'agate gravée de ton tombeau
vois comme je suis seul
et comme je souffre
parmi les humains
qui ne pleurent jamais!


Mais je suis sûr
qu'un jour le renom de mon amour
atteindra le lointain Irak
et que mon nom
sera sur toutes les lèvres persanes,
comme le tien,
ô Hafiz, rossignol de la consolation,
ange en exil!


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