La Pouliche Tartare
Tu es mon cheval persan, ma jument arabe,
ma pouliche tartare!
Tu es faite pour des rêveries
au coin du feu,
hautes comme l'Himalaya,
grandes comme la Chine
et luxurieuses comme les Indes!
C'est que tu es un rêve de conquérant,
un luxe de généralissime turc,
une folie d'Alexandre le Grand!
Et je t'ai harnachée de pure lumière solaire
afin que, quand je touche à la bride d'or,
j'aie chaud à ma main
et à mon coeur qui déborde d'amour
comme une coupe de chah!
Non, tu n'es pas cruelle comme Peridjan,
cette héroïne persane
qui conduisait au massacre
tous les fils de roi,
tous les princes de sang!
Tu es belle comme une sultane de Samarcande,
romanesque comme une reine de Géorgie
et despotique comme une tsarine de Bulgarie!
Tes joues sont turcomanes,
ton menton russe,
ton front grec,
ton nez tcherkesse,
tes lèvres égyptiennes,
tes cils irakiens,
tes paupières vénitiennes,
tes sourcils hindous,
tes oreilles yéménites,
et tes cheveux florentins!
Quand tu te dépouilles de tes vêtements,
comme une brebis de sa fourrure,
afin de te faire aimer,
tu sembles la Vénus de Botticelli,
émergeant d'un coquillage de nacre!
Et ta chevelure, pareille
à une guirlande d'algues mordorées,
participe alors de la gloire
de ce maître fameux à travers les siècles!
Ta hanche est cachée
sous des boisseaux de perles,
et ton sein où tu dénudes ta pudeur
brille comme un rubis
sur la couronne de Chosroès,
héroïque empereur des Perses,
amant de la princesse Kurde Chirin!
Mais, bien qu'heureux
au-delà de toute mesure,
ainsi qu'un homme ivre
au zénith de sa force,
je ne désire point te parler,
semblable à cet Ottoman de légende,
Kouyoum-Baba, qui ne voulait pas
que la conversation humaine
le fasse dériver de sa contemplation!
Oui, plutôt que de parler
en ces moments de crise,
préparons-nous, comme deux cavaliers
de camps opposés,
au combat amoureux
qui se déroulera comme une bataille
de torches allumées dans la nuit de Mai,
auprès de la rivière du plaisir!
Une fois que je t'aurai vaincue,
je me prosternerai jusqu'à ton pubis,
qu'humblement je baiserai,
comme un musulman
baisant la poussière de fleurs,
afin de vénérer Allah,
unique objet de beauté!
Oui, comme Apollinaire,
j'ai toujours rêvé
d'une femme qui aurait toute sa raison
et qui se promènerait dans mon appartement
ainsi qu'une chatte angora,
ne rejetant pas la volupté,
s'y adonnant même tout entière,
de la tête aux orteils
teints de henné!
LES CYGNES DE LA LUNE
RECUEIL INEDIT