À La Princesse Danseuse
Tu es un blanc calice de datura,
cette fleur aphrodisiaque,
née des amours révolutionnaires de Parvati
avec Shiva, Grand Transgresseur
de la Morale des vilains,
et Moine pourfendeur
des règles monacales!
Tu mériterais, ô mon ange
et ma vertu,
tu mériterais d'aller doucement ton chemin,
de ta démarche de noire panthère de Sumatra,
escortée d'affables servantes
qui agiteraient un chasse-mouches orange
autour de ta haute tête hiératique
que même la brise ne devrait déranger
de son souffle aimable!
Et, par là-même,
tu mériterais de marcher
sous un parasol d'or,
tenu par les grands commis de l'Etat,
telle le Sultan de Java!
N'as-tu pas l'arête du nez bien fine,
et les sourcils semblables
à des arcs de guerre,
prêts à darder la flèche ultime
qui éveillera mon sang
et le fera galoper
comme un alezan dans la lice du monde?
Ta bouche menue,
n'a-t-elle pas la couleur
rouge éclatante
des aurores d'Indonésie?
N'es-tu pas la princesse danseuse
d'une cour royale,
de ce qu'en Java on appelle un Kraton?
Et, n'élèves-tu pas,
quand tu danses
au son du gamelan,
les emblèmes de l'empire
dans tes mains
que j'aime d'amour délicate
comme elles!
Ta hanche, n'est-elle pas
la demi-sphère du temple de Borobudur,
ou une stupa indienne,
sous la cloche azurée de qui
dort éternellement
le plus suave des Bouddhas souriants?
Et ta vulve que tu caches
sous un triangle d'argent,
n'est-elle pas le cratère du volcan
qui domine la plaine de Bandoung?
Je souhaite pour toi
que tu quittes l'Europe,
si peu faite pour les seigneuresses,
et que tu deviennes
une des ces jeunes filles balinaises
qui portent, sur leur tête charmante,
des offrandes de fruits délicieux,
parmi des fleurs au parfum spirituel,
au dieu de leur village,
qui souvent est Shiva en personne,
toutes nues,
avec seulement, autour des reins,
un batik brillant!
Non, même les baudelairiennes douleurs,
voire les affreux préjugés millénaires
contre les dames,
n'entameront mon amour illimité en toi,
qui es la mouche sur ton dos
que je baise avec ivresse,
mais aussi les vagues de l'océan
qui viennent mourir sur le rivage de Bali
et le soleil lui-même
de l'Île Enchantée!
SANGS MELES
RECUEIL INEDIT. OCTOBRE 2004