Ode à Erôtis
Ô Erôtis, le feu de tes noirs sourcils
me brûle tout entier
comme la flamme de Vulcain
brûle le fer,
et me fait fondre comme l'or
à très haute température
et comme la neige au soleil
du printemps!
La graisse de tes cuisses rondes
lance mon âme sybarite
dans le ciel
comme les cavales
qui emportent hors de l'océan
l'Aurore aux doigts de roses!
La chair de ta croupe est abondante
comme la rosée qu'apporte aux roses
le vent du Sud!
Tes hanches sont belles
comme les plus belles vallées du Pénée,
larges comme le fleuve Anopos,
pures comme l'eau sacrée d'Acis,
fraîches comme la fontaine
où naissent les Heures
et admirables comme les hautes montagnes
du Lycée que Pan parcourt
au son de sa syrinx!
Et j'aspire à toi
comme les chèvres aspirent au printemps
et je te recherche
comme les abeilles recherchent
les fleurs de thym
et comme les génisses
recherchent les roses
et les chèvres le cytise
aux belles grappes jaunes!
Et je m'attache à toi,
comme le lézard qui dort au soleil
est attaché à la lumière de midi
et comme les jeunes filles
s'attachent aux couronnes d'aneth
tressées de giroflées blanches!
Et je bois ton haleine
agréable comme l'haleine des génisses
et je bois tes paroles
comme les poètes
boivent le nectar des Muses!
Ne sois pas jalouse
si j'aime tant les jeunes filles:
avec elles je suis comme le loup
en présence des brebis les plus blanches
et les plus grasses,
comme le renard en présence des poules
blanches comme l'aube estivale
ou comme les draps des nouveaux mariés,
comme le lion avec les faons
si tendres et si élégants!
Et je me sens comme Zeus même
quand il frémissait
de tout son duvet de cygne
devant Léda!
Ne pas me faire renoncer
à cette mienne passion
pour la chair tendre des jouvencelles,
c'est respecter en moi
l'ordre des choses
et les dons de la nature,
car c'est un don,
et même un don prophétique,
que d'être en mesure d'admirer
la beauté des jeunes femmes
et de la sentir pénétrer
dans sa peau par tous ses pores
et féconder l'âme
en la bouleversant
et en la faisant mettre bas
ces enfants que sont les lunaires élégies
et les poèmes bucoliques
qui sentent la marjolaine, le romarin,
la menthe et le basilic
et qui sont savoureux
comme les figues de Myconos!
Ainsi que le pasteur aimant
aime flatter de ses mains rugueuses
la croupe de ses bêtes,
moi j'aime flatter tes flancs voluptueux
d'une caresse légère
comme les chevaux des Immortels
ou comme la brise d'été
dans le feuillage des ormeaux
et des peupliers!
Comme le soleil est attiré
par la peau des filles de Rhodes
qu'il dore à souhait,
comme par une belle soirée d'été
le papillon est attiré
par les lumières de la maison,
moi je suis magnétisé
par ta démarche
pareille au choc
de deux faucons ivres de baisers
ou au fracas de l'orage,
et par tes yeux de sombres violettes,
nourris de la substance même
de mes rêves!
Et de même que les coings
poussent de préférence en Cydonie
et de même que le thym
trouve un terrain privilégié en Attique,
de même l'arbre de la Parole
grandit le mieux
à travers le désir humain
qui n'est pas quelque défaut,
quelque défaillance dans la cuirasse
de l'universelle harmonie,
mais la force même du Logos!
LES FILLES DE LA MER
RECUEIL INEDIT. AVRIL 2005