Henri Le Navigateur


Des bouches d'or et d'azur
du Tage ruisselant et magnifique
partaient, jeunes musiciennes,
les caravelles,
hautes comme des harpes
dont le mât
était l'axe de l'Incommensurable
et qui tantôt dormaient
dans le velours sombre
des nuits tropicales,
tantôt chevauchaient
la mer d'Atlas
comme des écuyères
du Seigneur!


À leur bord
se trouvaient des marins
aux poumons vastes
comme des océans,
aux mains larges,
aptes au maniement
des cordages.
Leurs coeurs étaient rouges
du sang de leur génitrices
qui furent des mères d'Hercule
ou de César
au sexe ouvrant
sur le Cosmos!
Leurs âmes
étaient immenses
comme les champs de blé
de l'Alentejo
et recouvraient la Terre
comme des Palmes
à l'ombre salutaire!
Les parfums et les épices
des Indes
irriguaient leur Esprit
qui unissait
Lisbonne la Navigante
à Calcutta l'Industrieuse!


Dom Henrique
était leur chef,
lui dont les yeux d'Infant
semblaient des cygnes
nageant avec grâce
et agilité
dans l'eau des songeries
les plus douces
du Réel le plus âpre!


Sur un promontoire
battu des dieux
il passait son temps
à composer
comme une mère
concevant la gloire
de son enfant,
la toile arachnéenne
qui allait bientôt
étendre ses ailes
aux Mondes invisibles!


Un désir d'Inde
le tourmentait
un regret
de sphères lointaines
le torturait!


Autour de lui
l'Europe,
dont les princes
étaient de vains agitateurs
ou des paysans
attachés à leurs minces
arpents,
s'épuisait
en meurtres de rêves
et en lamentations
d'individualités bafouées,
piétinées, éjectées de leus fiefs
personnels!


Cependant,
un vent créationnel
sifflait dans les oreilles
d'Henri le Navigateur,
et faisait frémir
et claquer ses cheveux
comme des voiles de navires
au-dessus desquelles
son Être volait
comme un albatros-roi
du Pacifique
ou comme une mouette
légère!


Ce prince des visionnaires
voyait dans la Nature
un corps pétrissable
et moulable
de multiple façon
et dans la Terre
un jardin de Sintra
où les cèdres
alternent avec les bambous,
tous les deux saisis
par une étreinte
de rhododendron!


Fils de la Lune,
il était le frère
de l'Asie
et Madère devenait
sa fille!


Plus les rivages entrevus
étaient lointains,
plus son Enthousiasme
échappait à toute
maîtrise!
Plus les habitants
des contrées éloignées
paraissaient étranges,
plus son Exaltation
grandissait jusqu'à la Démesure!
Car il était
d'une race d'hommes
que l'Inconnu ne faisait point
trembler,
que l'Étranger ne faisait point
pâlir!


Et plus que de voyager
son idéal
était de percevoir l'Univers
à travers un hélioscope,
comme un globe parfait
à découvrir en traçant
des cercles à l'infini!


Son sang
bouillonnait de sacrifices
à Bacchus
et de Magnificat chrétiens
ou païens!



Il était déjà
prêt à se métamorphoser
en cet Homme Universel
annoncé par la Tradition
quand la mort
le surprit!
Bartolomeu Dias, Vasco da Gama,
Cabral, Magellan, Albuquerque
poursuivirent jusqu'à son achèvement
le Grand-Oeuvre commencé
par Dom Enrique,
eux qui furent
les docteurs du destin
et les nautoniers du Vaisseau
terrestre!


L'image de tous ces hommes
nous guide encore,
comme celle de Camoëns,
leur Épigone immortel
qui lutta avec les flots,
comme le fit avant lui
Laocoon avec les serpents,
pour sauver le témoignage
de ces faits étonnants,
le Poème du Portugal!


CITADELLES DE CUIVRE

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. FEVRIER 2000