Cubaine
Pinar del Rio,
ô douceur,
ô amitié,
ô cadence de Cuba!
Cubaine, tu es un colibri
qui a nidifié
dans mon coeur
et depuis je ne dors plus,
accablé que je suis
de ta musique,
car tu chantes
même la nuit,
tel un rossignol andalou,
et tu ne me laisses
que le matin bleu
de La Havane
pour rêver!
Devant la mer
traversée de caboteurs,
je t'exhorte à la naïveté,
à la musicalité,
à la vitalité!
Et j'invoque
les esprits africains
afin qu'ils m'apaisent
de la décharge électrique
qu'est ton balancement
auquel participent
tous les palmiers de Cuba
et tous les cocotiers
de Saint-Domingue!
C'est que tu es
à mille lieues
de tout discours convenu
et tu n'exclus pas
l'éventualité de te donner
à un poète pour la vie!
Faire don de son être,
quoi de plus gracieux,
de plus espiègle,
de plus libre!
Ainsi tu penses!
Car tu tiens en horreur
toutes ces filles d' Europe
ou du pays des gringos
qui ne s'attachent
qu'à la banalité
comme à une amie d'enfance
et regardent avec inimitié
l'artiste
qu'elles imaginent
devoir crucifier
en vue d'une récompense
dans un paradis
connu d'elles seules!
Voir un poète sur la croix,
c'est pour elles
à peine une caresse
et moins qu'un baiser
d'amoureux ordinaire,
mais c'est une joie certaine
dont les yeux avides
d'avance pétillent
comme un vin du Vésuve!
Elles échangent
la vérité
qui gît au fond
de leurs entrailles
comme une perle,
comme un ce ces ovules
dont elles font
si peu de cas,
contre la beauté
d'une peau d'âne!
Ensemble avec les ânes
elles braient
jour et nuit,
contentes de leur écurie obscure
où elles se sont enfermées
depuis leur naissance,
loin de la lumière de midi,
quadrupèdes elles aussi,
avec cependant
moins d'innocence
dans le regard
où on peut déceler
des gouttes de rouerie,
voire de vilenie!
Pourtant,
qu'y a-t-il de commun
entre Cuba
et les turpitudes d' Europe?
Rien, si ce n'est cette langue
qui vient d' Europe
et que tu parles
comme si tu chantais
des airs des Antilles
et dans laquelle
tu cherches à passer
le message des Édens inconnus
où t'emportent
les rythmes endiablés
afro-américains
et les anciens cultes
béninois!
Tu es un colibri
du Guatémala
qui ouvre des chemins nouveaux
entre le Nord
et les Andes!
Et l' Amour
flotte sur tes plumes
comme le désir même
de ton âme!
LA FLUTE DE FEU
EDITIONS ENCRES VIVES. JANVIER 2003