La Souveraine Du Deccan


Ô gitane dont le regard grave,
qui vient de l'âme,
contrebalance à peine la sauvage allégresse
aux joies multiples
comme les perles de l'océan
et les diamants de l'alizé,
en des temps impériaux
tu serais la souveraine du Deccan,
la reine de Golconde
ayant à ses ordres
deux cent mille guerriers,
et tu serais entourée de milliers d'esclaves, belles comme des lunes indiennes!


La première d'entre elles
serait chargée de la coupe de tes orteils,
à la seconde incomberait la tâche glorieuse
de les polir,
la troisième s'occuperait
de les teindre en rouge écarlate,
couleur de la Résurrection,
la quatrième recevrait de toi
l'ordre de teindre tes ongles,
la cinquième tresserait tes cheveux
parfumés au musc du Khotan,
la sixième incrusterait
la Croix du Sud dans ton nombril,
la septième passerait des clochettes d'or
dans tes chevilles
où Shiva s'unit à Parvati,
à l'ombre des roseaux de la Yamuna

que sont tes mollets
doux comme des cocos!


Et tes autres esclaves
te prodigueraient mille soins
nécessités par le service de ta beauté
que chantent les rossignols
dans les roseraies du Bengale!


Ô toi qui as perdu ta vie
dans les brumes du Septentrion,
comment ne regretterais-tu pas
le ciel de l'Inde,
ce ciel avide de plaisir
et amoureux de ta terre
féconde en jeux de filles
et de ce Gange
où jadis tu lavais ton coeur
de ses impuretés!


Les femmes blanches
envient ta croupe fertile
et les hommes blancs
rêvent de toi dans les estaminets,
pendant les longs hivers
du Nord!


Mais toi de passer ton chemin,
large et majestueuse
comme le soleil du pays tamoul!


L'ABRICOT SOLAIRE

RECUEIL INEDIT. JUILLET 2004