À Une Bengalie


Mon sang arabo-andalou
roule ses rouges flots,
comme la rivière sur laquelle tu danses,
à la façon de la fumée de santal
du Cachemire
ou des braises de mon cigare
où est suspendu délicieusement
le doux soleil des après-midi du printemps!


Quand tu danses,
tu es la terre bleue
vue de la lune,
tu es cet Eden si léger,
lourd seulement des richesses
de la Grande Déesse,
forte en hanches,
qui préside à ses destinées,
lente, calme,
et, cependant, exaltée
comme les bergères amoureuses de Krishna,
comme la pulpeuse Radha,
sa maîtresse attitrée!


Je voudrais m'ébattre avec toi,
ô Belle du Braja
qui, sur les rives de la Yamuna,
s'évente au clair de lune
avec un éventail du Bengale,
pareil à un filigrane de jasmins indiens,
ou à un papillon de nuit
aux ailes vermeilles ou mordorées,
ou au coeur qui bat dans ta poitrine
comme un coucou dans un manguier,
un coucou dont les chants plaintifs
pénètrent dans mon corps
assoiffé de chansons
et affamé d'amour!


Ô ma suave Bengalie,
suspends pendant un moment
le jeu de tes fesses
que tu balances comme une autruche rose,
afin que, recueilli et concentré en moi-même,
je compose un hymne
qui fera l'éloge de tes appas
de pastourelle, ou de nymphe sylvestre,
enguirlandée d'églantines
et parée de pendeloques
sur son sein qui palpite
comme une rose sous la rosée!


Oui, je voudrais folâtrer,
rouler avec toi dans l'herbe fraîche,
ou parmi les blés en fleurs,
ou sur l'or d'un grenier,
et tant pis si un renard aventureux
nous surprend dans une posture voluptueuse,
où toi tu seras couchée dans l'Occident,

où moi je serai allongé sur ton ventre
comme un oiseau de proie de l'Himalaya!


C'est que m'unir à toi
au milieu d'une mer de topazes,
cela ne nuira à rien, ni à personne,
même pas aux palmes
qui, effarouchées de mon caractère volage,
n'en prodigueront pas moins à nous
leur ombre généreuse
distillant le miel
des reines d'Asie!


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