À une Maure


Quand Nouakchott se perd
dans le sang du Couchant
et que les ombres s'épaississent,
tu deviens cette Maure
vêtue de bleu
et dont le voile
est déchiré par sa prunelle,
ce flambeau de Mauritanie,
espérance du monde,
ébène de la nuit
incrustée de nacre perlière,
lac de lait de brebis
où boit une agnelle sombre,
guéparde d'agate,
lion d'émail,
tigresse d'onyx,
chèvre diamantine,
faon de gazelle,
antilope de velours,
daine d'Amour!


Car ton oeil
est le rossignol
du jardin de ta face
où narcisses et jacinthes
doivent alterner,
se mirant dans l'eau
de tes joues
comme des torches immortelles!
Et quand au seuil de ta porte
tu enlèves ton voile,
alors, ô charme, ô folie,
apparaît ton front
pareil au mur blanc
qui protège du vent du Désert
le parc d'agrément
de ta figure!


Et je vois stupéfait
le flamboyant de ta langue,
la tulipe de ta lèvre,
la rose de ton oreille,
le jasmin fin
de ton nez,
le chèvrefeuille parfait
de ton sourcil,
le cactus de tes cils
sous le ciel de tes paupières,
le myrte de ton menton,
l'oued blanc
de ton cou,
l'amandier de ta joue,
la palmeraie de l'oasis
de ton corps
qu'est ta longue chevelure
que tu dénoues
pour moi
avec une grâce
toute berbère!


Après m'avoir offert
le thé de l'hospitalité,
tu te mets longuement
à danser
une danse prodigue d'Orient
où les épis de maïs
d'Afrique et d'Amérique
se marient
aux dunes désertiques
de ta contrée de feu,
où les boas
et les anacondas des Tropiques
se meuvent
avec l'aisance des anges
et des esprits,
où les Lunes de Saturne
s'unissent
à la Lune de la Terre,
où le Prophète
compare la valeur
de la femme
à la valeur de la tradition
et trouve la première
bien supérieure,
où des eaux souterraines,
mille et cent
sources, jaillissent,
fondatrices d'autant
d'oasis vertes,
comme l'étendard des croyants,
où le sable du Sahara
devient élastique
entre les mains
du divin potier,
prenant, ô merveille,
tantôt la forme
d'un palais d'émir,
tantôt la forme
d'une mosquée,
où des nues
s'amoncellent dans l'azur
sans tache du Maghreb
après une absence d'années,
annonçant enfin
l'Orage de Volupté!


Après avoir rejeté
tes derniers voiles,
tu avances
vers moi
dans ta nudité
de blanc paquebot
descendant
des côtes du Maroc,
que les pêcheurs à la ligne
des rivages atlantiques
voient parfois passer
par beau temps
et qui se dirige
vers les Indes Occidentales
qui ont vu naître
le Monde Nouveau!


PEAU D’ANTHRACITE

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. JUILLET 2002