Chant De Palissandre


De ta vulve de gloire,
de ton fondement d'or,
de ta bouche d'acajou,
de tes oreilles minérales,
de ton nombril de cuivre,
de tous tes orifices
de sucre brun
et de tous tes trous de Ciel
par qui j'échappe-
-ô Mystère, ô Magie!-
-à la pesanteur effrayante
d'Europe,
je tire mes chants de palissandre
que je destine à tes Ancêtres
afin qu'ils apprennent enfin,
avec tant de retard,
que je n'ai point méprisé
cette terre qu'ils ont labourée
de leurs larmes
et qui accepta
de me donner le sein
et de guider
mes premiers pas
dans le Rêve des Aurores
à Venir,
cette terre,
berceau des Déesses
et des Dieux,
lit des génies de feu,
d'air et d'eau
et patrie des Vates,
des Sorciers et des Voyants!


Dans les nappes phréatiques
de ma flûte
tu reposes toute nue
ainsi qu'une idole négresse,
les jambes repliées,
prête à être adorée
par la foule des fidèles
dont tu subjugues les sens
et ravis l'esprit!


Et je vais mon chemin,
vaticinant outre-mesure,
vaticinant
et agissant avec zèle
et ferveur
afin d'annoncer à tous
et à toutes
la Bonne Nouvelle
de l'Afrique Réengendrée
par le sperme
des chants modernes
répandu dans ton ventre
et souverainement
franchissant l'entrée
de ton utérus
comme une lactance d'astres!


Tu as raison
d'être fière
de ton bassin large
que les blanches t'envient-
-Baudelaire,mon trisaïeul,
cet ange noir et bleu,
le savait déjà!-
et qui offre
un parfait réceptacle
aux songes les plus profonds
et les plus inespérés
du Poète,
cet Homme par excellence
ce Mâle sapient
qui, dans les marmites
de son souterrain,
sait concocter un Amour
dépouillé de tout but,
un Amour gratuit!


Or, de cet Amour
tu es l'image même
et l'essence
de par ta croupe de velours
et de caoutchouc,
de par ton sein d'airain,
de par tes yeux
à la fois très sombres
comme la Nuit sans Lune
et très blancs
comme le Jour d'Ivoire,
pareils aux yeux des houris,
de par ton anus
que frôlent les plumes
des cygnes sauvages
et parleurs,
de par ton vagin
de palmes
et de perroquets
et qui sent le goudron
et la noix de coco!
Ô Belle Béninoise,
ô Sublime Guinéenne,
ô Suprême Tchadienne,
ô Puissante Bambara,
rebelle au joug de l'homme,
ne t'offusque pas,
je t'en conjure,
de ces paroles insolentes
car je ne cherche point
à te forcer
comme certains le font
aux filles sans tête
et sans hanche!


Je désire seulement
t'être agréable,
et je connais le plaisir
que tu tires
de ces évocations terrestres!


N'es tu pas
la Déesse-Terre,
sans pour autant
que ta divinité
nuise beaucoup
à ta terrestreïté?


N'es-tu pas
la Vierge Noire
célébrée de par le monde,
sans pour autant
que ta virginité
contredise ta volupté?


À l'instar de l' Afrique
tout entière,
tu prophétises
le mariage des contraires,
la solution des contradictions,
la sortie de la Dialectique!


Ton corps lui-même,
considéré dans sa substance,
a la splendeur
de la prophétie,
telle qu'elle se mire
dans la fontaine du bonheur,
étant Elle-Même
et son Double angélique!


CHANTS DE PALISSANDRE

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. JUILLET 2002