Le Chant de Médine


À la seule évocation
du dattier de ton corps,
ma bouche s’emplit de douceur!


Et à la seule vue
de tes reins
moulés par ta robe
de blanche mousseline,
mes yeux, qui sont mi-clos de langueur,
s’animent de nouveau!


En la splendeur féerique de ta face,
la lune se confond avec le soleil,
les Pléiades de l’automne
avec le Chien de l’été
et toutes les constellations
les unes avec les autres!


Ton cou humilie le héron blanc,
dont le cou pourtant est aérien,
voire sublime!


Ton sein est une fière montagne d’Arménie
sur laquelle il aurait neigé!


Tes grandes prunelles de génisse
vainquent les vainqueurs des peuples
eux-mêmes!


Ainsi qu’une poétesse,
la nuit tu couches toute seule
et personne n’a l’insigne honneur
de t’y voir toute nue!


Comment en serait-il autrement,
puisque la nuit on ne voit point
le Soleil?


Or, la nuit, à l’instar de la lune,
tu passes de demeure en demeure,
un aoud dans les mains,
une chanson aux lèvres!


Et je me souviens même
de t’avoir surprise un soir
en train de boire du vin
dans un jardin de roses,
en compagnie de jeunes femmes
belles comme l’étoile du soir
et qui entonnaient à tue-tête
des chants de Médine, de Bagdad
ou de Chiraz!


Ô Bien-Aimée
qui reposes mes yeux,
tu es Arménienne, Grecque et Persane
à la fois,
car il semble que toutes las races antiques
se sont unies
pour engendrer l’astre de l’aurore,
cette Vénus
qu’on appelle communément
étoile du matin,
car elle accompagne fidèlement
les premiers rayons du soleil matinal!


Or, tu es de toute éternité
cet astre auroral!


Oui, tu es comme cette Chirin,
tant admirée du shah d’Iran
Khosrow-Parviz!
Comme ce shah,
j’irai te chercher
sur les hauts lieux d’Arménie,
là où les roches sont de lapis-lazuli!


Oui, j’irai te voir t’ébattre
avec tes amies
dans une prairie parfumée,
en bas du mont Inchirak
où les vierges se donnent rendez-vous!


Oui, ainsi qu’il sied à une vierge,
tout ton corps est désir
et ton âme n’est mue
que par la recherche du plaisir!


Tu n’es guère blasée
comme ces femmes du Ponant
qui sont des louves insatiables
mais de bonne heure lasses!


Et ta peau est plus blanche
que le lin de tes vêtements d’été
et brille comme l’or
d’une icône de Marie avec l’Enfant-Jésus!


Autour de ton corps,
pareil à un flambeau
porté par la Victoire,
tournent neuf cents abeilles d’or
et mille et un papillons
de topazes, de saphirs et de rubis
et qui sont les âmes des derviches
se traînant à tes pieds
extatiques et nus!


C’est que les derviches sont privés d’amour
et passent toute leur vie
dans les austérités saintes!


Or, tu es ce rossignol
qu’ils espéraient entendre chanter,
alors qu’ils étaient couchés
ainsi que des étoiles
dans les champs de violettes!


Oui, ton âme est un grand lustre
suspendus à la voûte centrale
d’une mosquée
et autour duquel le monde tourne
avec ses innombrables atomes de feu
formant des corpuscules enflammés!


Ta poitrine où bat ton cœur immortel
est une bouddhique pagode de cristal
d’où l’on voit la roseraie mystique
où Madjnoun rencontre Leila!


Ô coquette qui me parles
tout en ramenant tes cheveux musqués
en une tresse unique
enroulée autour de ton cou,
tu es l’antique, la souveraine,
la terrible et si suave Beauté
qui hante, depuis le commencement des temps
le sein des ascètes!


C’est de Toi, ô Beauté,
que nos sages ont appris
à être enjoués ainsi que des jeunes filles
et légers, oui, légers
comme l’âme des flamants roses
et frais comme l’esprit des fauvettes
qui chantent dans la forêt de la Connaissance!


Et qu’est-ce qu’elles chantent,
ces brunes fauvettes?
Elles chantent la Fine Amour,
celle des Dieux
et des hommes qui leur ressemblent!


Voilà pourquoi la poésie
n’a pas à être diabolique ou faustienne
mais simplement divine!


Car si le poète consent à mourir,
c’est qu’il consent à vivre
sous l’autorité divine!


Car dire oui à la mort,
cela revient à dire oui à la vie!


Je plaide pour un renversement des valeurs
qui équivaudrait à chercher
l’ultime Sens
dans la joie et la gaîté
du nectar des roses!


Car, c’est dans l’entrelacs
des roses de tes cils
que j’ai découvert, ô Bien-Aimée,
le paon qui est Dieu
et qui est Déesse!


Et l’Amour est donc l’image même
d’un duo de cantate sacrée
où la Bien-Aimée dit oui au Bien-Aimé,
car elle est l’Âme de l’Univers
qui dispose de notre Présent!


ROSE ET SUCRE

RECUEIL INEDIT.DU 15 AU 19 AVRIL 2007