Hymne à l’Existentielle Beauté
Aux vérités abstraites,
mortifères,
je préfère de loin
Toi,
ô existentielle Beauté
aux accents de sardoine,
à la volonté de jais!
Car j’aime à la folie
les choses
où l’ivoire
s’oppose à l’ébène,
où la nacre
lutte avec l’onyx,
comme la peau
de perle blanche
idolâtre
le Khôl de la paupière peinte
des danseuses sarrasines
aux voiles transparents,
semblables
à des moucharabieh arachnéens,
aux dents énergiques
semblables
à des Malagas de la joie
ou à des casbah de la guerre,
comme la mer d’argent
s’enamoure
du ciel
par endroits assombri
de Mars,
comme des colonnes
d’allégresse
contribuent aux temples carrés
de marbre noir
et comme la lumière de midi
baigne
les hauts cyprès
devançant
les plages désertes
grecques ou
siciliennes!
Dans cette Beauté
se conjuguent
ou convergent
les fleuves
de diamants retentissants,
les vergers suspendus
d’agate vivace,
les avenues de gazelles
et les rues d’antilopes!
Et de l’Inconnu
surgissent
des lacs de rubis,
des taillis de topazes,
des tours de béryls,
des villages d’ambre,
des villes d’émail,
des champs de saphirs,
des cieux de chrysolithes,
des sarments
de vignes douces-amères
se chevauchant
en des savantes postures
des mers d’escarboucles sonores!
Du Temps de la Terre
raffermie
par la présence
des dieux universels,
des anfractuosités tournantes
de l’Eros
surviennent
des paradis
de tigres attelés,
des branles
de léopards de la puissance
aux corps divinement élastiques,
aux mouvements sataniquement
merveilleux,
des caracolages fous
de mustangs rouges,
des courses sauvages
de zèbres,
des cavalcades gracieuses
d’alezans,
des passages
de noires pouliches
bien hanchées!
Ô Force des bouquetins,
ô Flamme fauve
des daims!
Ô Castor vigoureux
de la jeunesse,
ô astrakan de la nuit,
vison du Désir
voguant sur des mers
à l’ourlet infini!
Ô Caucase des étoiles brillantes!
Ô Ors!
Ô Or innocent des béliers,
Or idéal du Soleil,
Or fin
des orpailleurs
et ciseleurs de l’esprit,
Or brutal
de la royauté,
Or nuptial
des naïades,
Or du feu des prunelles
des filles de l’amour
au cou d’albâtre!
En vous
se manifeste
la beauté de l’existence
comme un irrésistible fleuve,
comme le Fer
du carillon des sens,
comme le vin noir
de l’ivresse de la matière,
comme la cascatelle
des yeux d’Avril
que l’Âme conquiert,
victorieuse,
comme la pluie
de menthe parfumée,
comme le vent de jasmins,
comme le parler interminable
des améthystes,
comme la parole accomplie
de Mai,
comme le chant radical
du Milieu,
comme le chant fleuri
de Juin,
comme le Puits
à triple fond
d’émeraudes!
L'AURORE DES DIEUX
RECUEIL INEDIT. DU 30 JANVIER AU 16 AOUT 1996