Les Roses de l’Incarnation


Ô Fillette de Mai,
que puis-je espérer de plus
dans cette vie
que baiser ton coeur
plus doux
que les petites pluies d’Avril
où la terre mouillée
embaume,
plus fou
que les corbeilles du printemps
où les jeunes femmes
mettent les marguerites
qu’elles ont cueillies
dans leur buste,
plus délectable
que les cuisses
des petites camarades de jeu
d’Aphrodite,
plus charnu
que les roses de l’Incarnation?


Depuis que je bois
à la source de tes yeux,
je sens une tendresse nouvelle
m’inonder,
pareille au ciel
tout neuf
où se baignent les hirondelles
chaque fois qu’elles reviennent
d’Afrique,
ces mêmes hirondelles
que j’embrasse dans tes cheveux!


C’est que
par les portes entr’ouvertes
la Terre s’est peu à peu
infiltrée dans le Ciel
comme la mer
s’infiltre dans les marais salants
et comme les larmes
d’une enfant
pénètrent dans les pores
de son visage
et les fécondent!


Depuis que ton petit coeur
bat dans les poitrines
des savants austères,
les pierres célestes,
naguère stériles,
s’en sont trouvées grosses
et ont accouché de rameaux!


Depuis que ton rire frais
de jouvencelle
s’est mêlé aux sanglots purs
des philosophes,
une nouvelle sagesse
est apparue
qui mélange
son onde transparente

aux eaux chaudes
de l’âme des filles!


Ne courbe pas ta tête,
fillette!
Le monde
qui jadis te paraissait
inhospitalier,
un jour il te portera
comme l’océan porte
la plus belle
de ses perles,
la plus maternelle
de ses baleines,
le plus agile,
le plus coloré
de ses poissons,
le mieux armé
de ses crustacés!


Pendant des années
j’ai nourri un noir ascète
en moi!
Mais qu’ai-je besoin
d’un ascète
maintenant que la Joie
fait fleurir
les joues des femmes
et que les nues chantent
les mêmes cantiques
que les rossignols
dans les églises,
désormais parfumées
de santal indien
où prêtresses et prêtres
ensemble officient
dans toutes les langues,
récitant indifféremment
les versets des Védas,
du Coran, de la Bible,
du Popol Vuh?


Ô Petite fille d’Hellade,
je ne rêve plus
de gypaètes du salut
mais de passer
dans ton doigt fin
mon anneau de poète
comme un grillon
qui chante sur une branche
de pommier d’or!


CHAIR D' HIRONDELLE

ENCRES VIVES. JUILLET 2002