Fables


1.-La Frégate


Grande est la puissance vélique
de la frégate hors-la-loi
de ton corps rapide et robuste
dont les canons sont dirigés
sur les roches blanches
de Marseille
où je suis marin de l’Amour
échoué à terre
et, à l’occasion, pêcheur de rascasses
de l’Esprit!


Et tu m’invites
à bord de ta nef
dont je deviens le nautonier
et conduis à la victoire
sur le Gouverneur de Provence!


Et toi de te faire sacrer
médiévale Impératrice d’Arles,
cependant que la foule
t’acclame dans les arènes de la ville
et que, sur la Méditerranée,
l’équipage de ton navire
agite les petits drapeaux
de la Gloire,
de pirate qu’elle était,
devenue Légitime!


2.-La Danseuse Sacrée


De la vedika du temple
dont je suis le prêtre
et toi la danseuse sacrée,
je contemple les rares nuages
naviguant dans la Nuit!


Car j’ai perdu le sommeil
depuis le jour prédestiné
où, pour la première fois,
je t’ai vue danser!
C’est le jour
où, sous ta gaine de Parvati,
j’ai pressenti la jubilation
de la moitié inférieure de ton corps
et où j’ai violemment senti
la volupté de tes seins nus
et compacts,
comme seuls savent l’être
les seins des dames hindoues,
fidèles en cela
aux antiques canons de beauté
établis,dès avant le temps védiques,
par les Tamouls,
alors peuple premier
et vrai ornement de la Terre!


L’année où, par la grâce
de la Transsubstantiation hiérogamique,
nous serons, selon la croyance mystique,
moi Shiva et toi Uma,
souviens-toi du premier matin
où tu m’aperçus, seul assis au fond du stupa,
quand tous les deux
nous sommes tombés
sous la coupe de Kama,
l’Eros indien!


Nous sommes depuis
dans la juridiction des Tantra,
ces livres religieux
qui traitent de l’Amour,
chose religieuse, s’il en est!


3.- Le Navire de Roses


Tu es un navire de roses et de myrtes,
à la ceinture d’éclairs,
avançant dans le Ciel,
véloce et triomphal!


Les vents divins,
tous favorables,
soufflent dans ses voiles raidies
au maximum
et s’offrant au Cosmos!
Et point n’est besoin
de la double rangée de rames
pour faire naviguer
la Nef!


Les nuages pénètrent le pont
où se tiennent les passagers
qui deviennent invisibles
les uns aux autres!
La Volupté fait rouler bord sur bord
ton bateau
sur l’onde large du firmament!


Et le soir venu,
la Lune allume le feu
des chants polyphoniques
qui ne s’éteindront qu’avec les Astres,
à l’aube imminente!
C’est que Marie-Madeleine
les a enduits de son haleine chaude!


Et ton Navire
de disparaître, dès les premiers rayons
du Soleil,
dans les eaux bathyales
de l’horizon!


4.- Le Bateau-Lavoir


Au fond de la batée
où je lave le sable aurifère
brille le grain d’or de ton Âme
incarnée dans ton corps nonchalant
pareil
à un bateau-lavoir
ancré dans la Seine
auprès d’une berge normande
et destiné aux blondes lavandières
qui, cacavant de joie comme des perdrix,
se baignent dans la rivière
cachées par les saules
avant de se mettre à frotter
le linge des Seigneuresses,
jusqu’à lui arracher des éclairs,
s’interrompant de temps en temps
pour converser suavement!
Une Princesse cotentine
mène cette bande allègre
comme un concert de nues estivales!


Et comme jadis Ulysse
sur le rivage des Phéaciens,
j’ai honte de ces jeunes femmes rieuses
à cause de mes oripeaux
de Naufragé
et de mon corps
sali par les Luttes incessantes,
bien que tout naturellement
je veuille courir auprès d’elles
afin de mesurer leur Tendresse!


Enfin, elles me voient,
elles accourent,
et voilà que, à travers les blés fauves
d’Août,
de leur mouvance musicale
insinuant le crissement de la soie,
le froufroutement de la mer
et le tournoiement des clés
de l’azur,
elles me conduisent toutes ensemble
au Château de la Fée Morgane,
leur Reine,
et qui n’est autre
que ton Coeur
d’où viennent
les OEuvres de mon esprit
comme par une alchimie
d’Annonciation!


ALGUES ROUGES

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. AOUT 2001