Ode aux Poètes de France


Ô nobles auteurs de France,
et surtout toi, ô Baudelaire,
prince d’entre les princes généreux,
homme bien né d’entre les doués
et les talentueux,
Parisien des plus rares
et Germanopratinois des plus audacieux,
toi qui sur la fin de ta terrestre présence
étais devenu squelettique
par l’effet de la tumultueuse pesanteur
et de la barbarie des brouillards modernes,
je vous tiens obligation à jamais
d’avoir frappé mon esprit
au coin de votre langage précis
et clair comme l’onde de la mer
et d’avoir galvanisé ma jeunesse
de votre idéal d’aristocratie,
de compagnonnage entre hommes et femmes élus
et d’universalité
à la mesure de la Terre
ronde comme la boule de feu d’Empédocle!


En suivant votre glorieux exemple,
j’ai fait honneur à la langue française
selon mes moyens,
car c’est votre langue,
celle qui porte pour toujours
votre sceau ineffaçable!


Puisse le Seigneur
agréer mes vers
comme il a certainement
agréé les vôtres,
ô Augustes Messeigneurs
de la Transalpine Gaule,
cette Galatia des Grecs
et cette Gallia des Latins,
dont vous êtes
les Maîtres incontestés!


Mais avant de clore cet hommage,
au milieu des alcyons qui volent
et des cygnes qui chantent,
je voudrais humblement
vous poser cette question angoissée:
votre âme immortelle se reconnaît-elle
dans la mienne?
Y voit-elle un monde familier?
Ai-je été votre digne disciple
et votre fervent zélateur?


Ma galanterie s’est-elle hissée
jusqu’à l’inaccessible hauteur
de la Fine Amour
que célébrèrent, il y a un millénaire,
les trouvères et les troubadours,
vos géniteurs, vos aïeuls?


Car comme vous
j’ai placé mon oeuvre
et ma vie entière
sous le signe de la divine étoile
de Vénus, Etoile du Matin
comme Etoile du Soir!


C’est que je crois fermement
en l’immortalité de l’âme
et crois savoir
que vous tous tant que vous êtes,
vous vous attristez dans votre pays,
inconnu de nous autres vivants,
du vide laissé sur la terre des mortels
par la chute des religions
qui avaient poussé leur désespérance
jusqu’à nier l’existence
d’Apollon, de Bacchus
et de Diane-Lune!


Mais vous semblez aussi
avoir pour motif de colère extraordinaire
la méconnaissance profonde
dans laquelle tient votre pensée
votre peuple
et le pays dont vous étiez les fils,
aujourd’hui incompris ou moqués!


Ô Charles Baudelaire,
mon frère,
ô juge terrible,
sois indulgent
pour nous autres
enfants de ce siècle,
car nous ne savons pas
ce que nous faisons
et quotidiennement nous te crucifions!


L'ANGE DES TROPIQUES

RECUEIL INEDIT. MARS 2005