À la Nuit
Ô Nuit de Grenade
pareille à un vaste coeur
ensanglantant l’Albaycin!
Ô Nuit de Meknès
incendiée de Lunes!
Ô Nuit d’Athènes
pareille à une larme
tombant sur la Pnyx
d’une amande précosmique!
Ô Nuit de Bagdad
fraîche du sommeil
des rivières célestes!
Ô Nuit de Bénarès
tigrée de Ganges
de sacrifices!
Tu es la Porte triomphale
de la volupté
tissée de libellules
de diamants!
Tu es le Portique angélique
du plaisir
au marbre tapissé
de flûtes d’or!
Tu es le Pilier
des délices de Cyrène
où les philosophes
chantent entre les palmes,
insouciants et heureux
ainsi que des oiseaux
et aperçoivent du fond des oasis
les serpents qui dansent
de Sagesse
et les jeunes filles
qui se pâment de douceur
penchées sur leurs terrasses
et baignées d’astres!
Tu es le Temple chérubinique
de l’Adoration de Marie
constellé d’améthystes
et de rubis
en sa coque extérieure
et intérieurement tendu
de roses rouges
et de gouttes de roses
de jais!
Tu es le Palais royal
de l’ivresse
où Salomé,
vêtue d’un voile
composé d’émeraudes,
entraîne dans sa danse
lubrique
les Sphères lascives
venues en cortège printanier
célébrer en leur princesse
l’Amour personnifié!
Ta chevelure noire,
sombre comme l’ébène
ou le corbeau,
te recouvre tout entière,
de ta tête de minuit
jusqu’à tes chevilles
d’aurore!
Les rossignols mystiques
en sont captifs,
eux qui captivent
l’Univers!
Ô Nuit sublime
et modeste,
ô Nuit hiérophantique
de Walpurgis,
tu es l’essence de la victoire,
la substance de la gloire,
la mer du chaos,
le berceau du cosmos,
l’accomplissement de la courbe,
ô complément de l’âme!
Ô Toi,
Nuit enceinte
de toutes les transfigurations
à venir,
que les déesses des accouchements
t’aident,
par leur maïeutique divine,
à donner naissance
au Soleil salvateur
de Mai!
Pour que tu puisses, enfin,
légère, t’envoler
en compagnie des génies
à l’aile libre!
PALAIS DE RUBIS
EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. JUILLET 1999