À la Profonde


Ta prunelle de biche enchantée
est un palais labyrinthique
dont les gardes,
vêtus de jaune et de carmin,
portent des hallebardes
aux pointes vermeilles
comme le vin des boutons
de tes seins,
ô Savoureuse!


Les mille méandres de marbre
de l’édifice,
ornés de fresques
figurant la pensée divine,
conduisent à une fontaine d’albâtre
fascinée par des colonnes
où des lions à la crinière fauve
tiennent conseil avec des lionnes
à l’oeil inquiet, maternel!
L’eau du bassin
se reflète dans des miroirs
de Soleils de Sparte
entourés des Eros
joufflus et joyeux!


Au fond extravagant du palais
se trouve ta chambre nuptiale
faite de rubis
et tendue de tapis de soie
bleue comme une nuit étoilée
d’Août!
Les tentures y sont d’améthystes!
Le lit est d’ébène,
son chevet est de nacre
et il est recouvert d’une dentelle
de perles!


Un chat
d’Ancyre blanc comme la neige
s’y promène en toute liberté,
se mouvant tantôt avec la tendresse
d’un éléphanteau,
tantôt avec la paresse d’une chienne,
tantôt avec la nonchalance
d’une tortue,
tantôt avec la volupté d’un jeune
tigre,
tantôt avec l’élan d’un louveteau,
tantôt avec l’ivresse d’une panthère!


Quand ce chat magnifique
est couché à tes pieds,
ô maîtresse de rois
et de dieux,
il cumule la splendeur
de cent princesses indiennes
à la peau de velours!
Ta caresse unique
le fait ronronner
comme une flûte
dont la mélodie monte
aux cieux,
et fait tressaillir Aphrodite
assise dans son char d’or
ouvragé,
tiré par des léopards ailés!


Un foyer ard dans ta chambre
jour et nuit,
communiquant avec le centre
de la Terre
où vivent tes amants,
beaux comme des Agamnénons
immortels
qui n’auraient pas besoin
d’être vengés par un sombre
Oreste!


Des héros fameux
à la parole de bronze
surgissent du foyer,
t’étreignant jusqu’au plaisir
le plus féerique,
alors que,
parée de cuivre
et de laiton,
tu es nue
comme la Lune!


Ô Fiancée universelle
aux yeux doux
comme des marrons au feu
et qu’on appelle la Profonde,
dans le regard des héros
tu contemples ta propre danse
des mondes,
et ta propre beauté!


Car, ô Puissante,
en jouant la harpe cosmique
de ton corps,
tu associes les fils d’En-Bas
aux Intelligences d’En-Haut,
qui sont fines
comme les tamaris
aux bords de la mer
glauque!


PALAIS DE RUBIS

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. JUILLET 1999