À la Libertine


Tu es la Terre
fendue par le soc
du Soleil!
Tu es la Lune
aux flancs parfaits
que déchire la faux
du plaisir!


Tu es le Ciel
vendangé par la magie
des Perses!
Tu es la mer
domptée par le coeur
de l’amant!


Tu es la soie
de la Chine,
l’ébène de Java,
le rubis du Bengale,
l’idole de Maduraï,
la perle de l’Oman,
la pierre de la Kaaba,
le sable du désert,
le jasmin du Fars
l’émeraude du Liban,
l’améthyste de l’Attique,
l’agate de la Sicile,
la pourpre du Maghreb,
la topaze de l’Andalousie,
le saphir de l’Algarve,
le lapis-lazuli de Lisbonne!


Tu es le lit
de la câlinerie,
le berceau de la langueur,
la jonchée de la nonchalance,
le monticule de la douceur,
la voie de la finesse,
le Livre de la délicatesse,
le trône de la volupté,
le lacis de la lubricité,
l’éclair de la lascivité,
la guirlande des coquetteries
auxquelles tu donnes
le sens de divine folie,
l’arcade du désir,
la passion du jais,
le lait de la tendresse,
le rire de la salamandre,
le frémissement
du Grand Sud,
le baiser du simoun,
le lac du ravissement,
la grotte de l’extase,
le miroir des houris,
l’Epiphanie de la Beauté,
l’Annonciation de l’Amour,
la prophétie réalisée
dans une chair
et un sang bénis!


Tu associes, en vérité,
à la souplesse du palmier
et la flexibilité du cyprès,
la rigidité de la statue
qu’on adore
et qu’on oint d’huiles
parfumées!


Tu allies réellement
à la royauté de la gazelle
l’empire du léopard
et à la sobriété de l’antilope
la caresse de la biche!


Et tu conjugues
la musique du cygne
avec l’éloquence du rossignol
et le chant de lyre,
conquérant ainsi la nature!


Tu es l’anguille des appas
alliée avec le colibri
des atours
et le serpent
de la lumière!


Tu es l’exil de la mort,
la mort des ténèbres,
la gravitation de la matière
autour de la flûte de l’Esprit,
le libre épanchement
des luths de l’âme,
l’affranchissement du joug
de la lourdeur,
ô toi, la légère,
la lutine,
la libertine!


PALAIS DE RUBIS

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. JUILLET 1999