Le Pin


Je suis un pin de Provence
fier et fin,
abandonné par les hommes
et régnant à l’écart,
sous la Sainte-Victoire
et sur les grands chemins poudreux
du Miéjour,
parmi les vergers d’or
et les vigneraies
de la Promission,
éternellement oublié
et éternellement vert d’une millénaire
mémoire!


Mes branches s’élèvent
haut,
très haut dans l’azur
par la liberté aux vastes couloirs
et le plaisir exacerbé
de mes sens
affinés par la vision
des arbres du Paradis,
des orangers surtout,
aux fruits nés du doux Soleil
d’automne
et aux fleurs parfumées
par la Lune d’Avril,
et des pommiers aux pommes
portant encore,
comme à l’origine de la vie,
les marques voluptueuses
imprimées naguère
par les lèvres fabuleuses
d’Eve, la femme aux épaules rondes
d’îles fertiles
sous le ciel vierge
mais veiné d’éons!


Avec dans les yeux de l’Esprit
la forme et la saveur
de ces oranges d’Ibérie
gardées par les Hespérides
et de ces pommes de Palestine
goûtées par les Premiers Amants
de la Connaissance,
je poursuis ma destinée
pareille à un long rameau
traversant l’atmosphère
et s’épandant dans l’Infini
ou à un cou de girafe
surmontant la félicité
de la savane
par la contemplation
de la divine beauté!


Et feuilletant avec passion
le Livre du Jour
ou m’extasiant
sous les milliards de diamants
de la nuit fastueuse
et enchanteresse,
je reste égal à moi-même,
un arbre solitaire
à la lisière de la pinède,
celui qu’on aperçoit le premier
en venant du côté de la ville,
celui que le maestral berce
et la Pleine Lune baise!


CALECHES D’ AZUR

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. DECEMBRE 1999