Ode à Constantin Cavafy


Ô doux jasmins alexandrins,
ô suaves roses d'Antioche,
ô palmes impériales de Séleucie,
ô lotus népenthiques de Libye,
ô lys mystiques de Cnossos,
ô violettes fameuses d'Athènes,
ô pourpre sénatoriale de Rome,
ô soie rose de Chine,
ô rouges oeillets de Beyrouth,
la Béryte des Grecs
où Dionysos connut l'apothéose,
ô sublimes rossignols d'Ionie,
ô fleurs de Constantinople,
célébrez par un hymne thébain
que vous graverez sur un papyrus du Nil,
célébrez le prince-poète
qui conquit des terres embaumées
où il fait bon vivre la volupté
sur des lits d'amour
ornés d'aigles romaines
et de cygnes de Caystre
et dont les draps ont été tissés
par des Déesses
et dont le grand oreiller profond
est en plumes de perroquet indien
et le matelas se souvient encore
des amours d'Endymion et de la Lune!


Ô vous, mouettes alexandrines
et pélicans des Cyclades,
chantez le héros-poète
qui s'est laissé aller
aux jouissances de rêve,
aux plaisirs les plus téméraires
et aux élans les plus luxurieux
de l'ivresse poétique,
tout en demeurant un chaste ascète
grâce à l'étude de Platon
et qui de toute sa vie
ne professa que la délectable doctrine
d'Aristippe de Cyrène,
inventant ainsi une nouvelle science
de l'agrément et de la plaisance,
aussi ancien en sa manière
que les plus anciens des sophistes
et plus moderne
que les plus modernes d'entre les poètes!


Assis à l'ombre des peupliers blancs,
devant une table en pierre de Bithynie,
soutenue par une colonnette d'argile,
je t'évoque, ô Cavafy,
oui, j'évoque ta pensée
à travers les traits de ta figure
de fin lettré,
ni Occidental, ni Oriental,
mais Hellène d'Egypte,
rameau d'un grand arbre antique,
et rejeton d'une lignée
d'hommes et de femmes
subtile et délicate,
un rejeton unique en son genre,
pareil à un citronnier en fleurs
esseulé dans la plaine d'Argos
ou à un jasmin de Chio
qui répand un parfum estival
sur le balcon d'une demeure seigneuriale!


Oui, tu fus un poète érotique
dont l'érotisme tenait plus
de l'Idéal néo-platonicien,
héroïque, surhumain,
voire divin,
que d'une humeur obscène
de rimailleur de basse époque!


Oui, jamais une émotion vulgaire
ne visita ton esprit joyeux,
porté aux visions exquises
et aux langueurs helléniques!


Et les adolescents que tant tu aimais
étaient plus que de beaux jeunes gens,
ils incarnaient ou évoquaient
tantôt Apollon, tantôt Hermès,
tantôt Endymion!


En Grec authentique
et Poète véritable,
tu ne souhaitais d'autre couronnement
à ton oeuvre
que la perfection de ton vers
et l'éloge du Peuple et des Penseurs!


Oui, ta seule ambition
devant laquelle tout autre souci pâlissait,
était la louange de l'Hellade,
le triomphe à l'Agora et au Théâtre
dont le signe infaillible
est d'habitude
une couronne de laurier
sur la tête du héros
qui fait le voyage d'Ithaque!


Or, ce que tu appelais Ithaque,
c'est, non le retour au pays natal,
mais la destination de l'homme,
son but dans cette vie
qui tient du miracle
et sur cette vaste Terre
illuminée par la lune de Septembre!


LA CITE DE LA LUXURE

EDITIONS ENCRES VIVES. FEVRIER 2005