Ode à Marie-Soleil
C’est à toi,
surgie d’un passé lointain,
que j’offre cette ode ailée,
ô Idole,
ô Icône,
ô Fugue,
ô Sirène!
Ineffable
et immense,
la fleur de ta jeunesse
fulgurait alors
comme une ville,
comme un joyau
parmi les blancs rivages
d’Oc,
les fleurs d’oranger
au parfum de volupté,
les pins chevaleresques
du pays d’Aix,
les cyprès solitaires
du pays d’Avignon,
les blés magnifiques
du pays d’Arles
et les topazes
des hauts platanes,
ces philosophes asiates!
Ta douce chevelure
rayonnait de perles
et de jasmins,
car elle m’était chère
comme la Sierra Morena
quand elle était,
en son époque héroïque,
infestée de bandits
montés sur de noirs chevaux
et armés de couteaux étincelants,
ou comme le Popocatépetl,
quand les prêtres
y montaient en procession
avec des vases sacrés
enduits de copal
et remplis de peyotl!
Tes yeux
étaient des roses noires
pareilles aux harpes homériques
et aux flûtes pindariques!
Quand tu pleurais en secret,
ils avaient la perfection
du rubis royal!
Quand le désir y transparaissait,
ils avaient la passion obscure
du sombre diamant!
Tes yeux évoquaient à la fois
la forteresse maure
d’Almeria,
l’enceinte d’Avila
aux quatre-vingt-huit tours,
l’alcazar miséricordieux
de Tolède,
l’aljaferia de Saragosse,
la cathédrale de Murcie,
la guitare de Malaga
et la lune de Grenade!
Mais aussi,
la mer d’Acapulco,
et le détroit de Yucatan!
Et le Styx s’y mêlait étrangement
au printemps de ton jeune âge!
Tes lèvres étaient souvent
pâles comme un ciel d’Avril
consumé par la gloire
du mois d’Août à venir!
Mais quand elles étaient
rouges,
elles ardaient
comme un bain de feu,
comme une plongée
dans le soleil,
comme une pluie violente
de flèches venues de Mars,
peintes aux couleurs
du grand djihad!
Car, non contente
d’être une fille
des Khalifes de Cordoue,
férue d’astres
et de théologie,
non contente
d’être une princesse grenadine,
attendant tous les matins
l’amour
qu’apportent les nuits d’été,
et non satisfaite
d’être une sainte de Castille
altérée de larmes
d’adoration,
tu étais aussi,
et plus absolument,
une déesse aztèque,
préservatrice de l’ordre céleste,
jetant du sommet des pyramides
une ombre millénaire
sur la terre entière
du Mexique,
avide de sacrifices humains!
Ton sein
était hospitalier,
ta hanche large!
Et ton pied menu,
digne de celui
des Andalouses antiques,
faisait tourner
la roue du destin
comme un vélomoteur cosmique!
Et pourtant,
comme un pèlerin de la Mecque
assoiffé d’eau salutaire,
saisi d’une peur soudaine,
refuse,
quoique émerveillé,
de boire à la source
d’immortalité,
comme un marinier,
devenu pusillanime,
refuse de plonger dans la rivière
de l’Eternité
et laisse partir
le cours précieux,
comme un brahmane
refuse,
pour des raisons mondaines,
d’offrir l’oblation
ordonnée par les dieux
et, comme, enfin,
un alchimiste ignorant
laisse filer
l’Or immatériel,
je ne me suis pas
emparé
du grand pommier de Perse
de ta glorieuse beauté,
et j’ai vu fuir,
non sans peine,
le magique,
l’unique
instant!
Obéissant alors
aux appels lancinants
de la Mort,
je me suis enfermé
dans une tour de Léthé!
Ressuscité,
longtemps après,
par la grâce de la Vierge des chrétiens,
je te chante à nouveau,
ô Souveraine,
ô Seigneuresse,
ô Reine,
comme en hiver
on appelle
le coucou d’Avril,
le rossignol de Mai,
ou le zéphyr léger,
merveilleux,
de la belle saison
ou une étoile perdue
dans le vaste néant!
Et c’est ainsi
qu’à certains moments,
faibles à la fois
et fortunés,
l’Esprit cherche
à reprendre possession
de l’ancienne, hélas,
Emotion!
PRUNELLES MARINES
EDITIONS ENCRES VIVES-COLL. LIEUX. MARS 1999