La Fille aux Prunelles Marines


Ton cou
est une tige de nénuphar
dont ta face
est la double fleur
ourlée de poissons
menus et merveilleux
de tes oreilles discrètes!
La cime musicale de l’Olympe
de ta chevelure
y projette son ombre tutélaire!


Tes yeux
sont une mer
couchée comme un cheval majestueux
sous la lune fulgurante
de tes paupières ivres
et où se reflètent, entre autres,
la prêtresse-reine d’Our
célébrant l’hiérogamie
au sommet de la ziggourat
resplendissante de la gloire de Mésopotamie,
cependant qu’au loin,
on entend les acclamations de joie
de la foule des fidèles
porteurs de torches allumées,
Néfertiti songeant,
en son palais ombreux
aux cent salles
et méandres de couloir
d’ambre,
au Pharaon-Soleil
prophète de l’Egypte nouvelle,
Nausicaa la rose
accueillant Ulysse hirsute
parmi les joncs
du rivage phéacien,
appelant déjà ses compagnes
pour le bain de l’étranger
admiré,
Roxane, la barbare princesse
mellifère,
attendant au soir de ses noces
bruyantes
l’impétueux Macédonien,
Cléopâtre se faisant aimer
à la veille d’Aktion
par un Antoine pathétique,
Marie, vêtue de bleu,
recevant l’Annonciation,
le Christ, vêtu de blanc,
rayonnant sur les eaux,
Zénobie, souveraine de la cité
des palmiers,
réunissant, en sa splendide capitale,
tout l’Orient
dans une somptueuse fête
gréco-romaine,
syriaque et indienne,
Théodora de Byzance
peinte à Ravenne,
se tenant aux côtés
de l’Empereur,
tous les deux entourés
de leur cour de corail,
brodée de courtisans
fervents,
Fatima, la fille du Prophète
au milieu des docteurs
de la foi,
parlant avec passion
d’Ali,
Shéhérazade, inspirée par la nuit,
accompagnant elle-même
de son luth dulcissime
ses paroles de nectar
devant le Temps-Roi,
la favorite bien-aimée,
morte jeune
et pleurée par l’empereur
de Chine,
Alexandre Nevski
combattant les chevaliers Porte-Glaive,
la Vierge de Guadalupe
écrasant les puissants,
magnifiant les pacifiques,
Jean-Sébastien Bach
recomposant les océans
avec des arabesques
de clavecins tempérés
et les flûtes enceintes
d’un dieu immanent
et danseur,
Tiepolo exprimant son rêve
sur les plafonds de Venise,
ces miroirs profonds
du monde divin,
sonores comme des gongs!


Munificentes comme tes yeux,
ô Belle maritime, terrestre, aérienne,
tes lèvres sont
une oasis verte
où les lions se joignent
aux éléphants
et les hirondelles aux palmes
pour glorifier l’âme universelle!
Tes dents en sont
les étoiles du ciel
à l’atmosphère éclatante!


Ton sein luit
comme un double astre
illuminant les patios
de jasmins fleuris
des palais fassis!


Tes hanches
figurent les cieux entr’ouverts
par le va-et-vient
des Archanges
et annoncent le Paradis!


Car ce sont en vérité
des armoiries de cité
sublime!
Car ce sont des léopardes voluptueuses
et des pouliches fines!


Car elles sont aussi
des pastèques damascènes,
des roses
de terrasse de Grenade
que la brise de Mai,
traversée de chants de rossignols,
tient en émoi,
des oeillets rouges
des îles Baléares
s’imprimant dans les yeux
du sage tranquille
et doux
comme un Cyrénéen
ou comme un Hindou!


Ô Fille
du désir des dieux,
tu es le voyage parfait,
l’accomplissement de la danse
sculptée dans le coeur
du Verbe,
le chef-d’oeuvre d’équilibre
des forces opposées
et identiques!


Et ton insigne beauté
est le symbole
de la mer du cosmos
qu’illustrent tes grandes
prunelles marines!


PRUNELLES MARINES

EDITIONS ENCRES VIVES-COLL. LIEUX. MARS 1999