Carmen


Reine de la jeunesse,
ô faucon insatiable et terrible,
les volants multiples de ta robe
tissée des rubis de ton sang,
dansent comme les ailes des séraphins
qui planent sur la route de la Vierge,
comme les nues qui tourbillonnent
autour du Soleil zénithal
de ta croupe solennelle,
calice de profond mystère,
comme les vagues qui roulent
sur l’île coralline
de ta taille de palme fine,
flambeau des Mages,
comme les flots d’émeraudes
qui submergent ton ventre secret
et auroral,
d’où demain sourdra le jour
comme un arc-en-ciel magnifique,
sous le vent de castagnettes
appelant marins et hommes libres
à la transe
et dont les méandres
de sons mystagogiques
sont déchirés par le tambourins
tendus comme des boucliers d’amazones
et dénonçant au monde
le scandale de l’Amour!


Ô Carmen, gitane célèbre,
bohémienne distinguée,
à tort on te nomme l’Insolente,
car tu es déesse
commandant à ses prêtres
et leurs auxiliaires!


Sans raison, on te proclame
l’Immorale,
car tu es transcendante
comme un ciel de pourpre
au-dessus du plus haut
promontoire!


À tort, on te traite
de Rebelle,
car tu es ordonnée
comme la nature sauvage
et pacificatrice!


Ce n’est que par hyperbole
qu’on te fustige
pour ta sensualité,
car tu ne possèdes
de sens
que ceux qui te relient
au centre de la Terre
et au Trône du Cosmos,
ce sphéral joyau!


Outrageusement, on te désigne
comme la Cruelle,
car tu es un coeur de Pleine Lune
se couchant dans une pinède sublime!


Ce n’est que par dérision
qu’on loue ta solitude
et ton enfermement en toi-même,
car tu es le portail de l’azur,
la céleste fenêtre,
le divin outil,
la rouge ouverture!


Et à tort on te rêve
Amère,
car tu es douce
comme un torrent de jacinthes,
comme une cataracte de violettes,
comme un champ cubain
à perte de vue
de canne à sucre!


LUNES DE BRONZE

EDITIONS ENCRES VIVES. COLL. LIEUX. JUIN 1999