Hatanena l’Hindoue


J’ai beau posséder cent vaches
et avoir plusieurs serviteurs,
il n’en est pas moins vrai
que devant la grande dame
qu’on appelle Amour,
je suis plus démuni
qu’un nouveau-né
ou qu’un veau sous la mère
et je fléchis sous son poids
comme la branche d’un peuplier blanc
ploie sous le poids d’une fauvette des bois!


Cependant, le rossignol chante
dans le jardin,
mais moi je vois en rêve un Hindoue
dont le nom est Hatanena
et qui a la chevelure lustrée d’huile de lotus
et semblable à une nuit
constellée de perles!


Cette apparition inattendue
évoque pour moi une de mes vies antérieures
où je possédais des centaines d’éléphants
et où mon palais s’élevait
sur les bords de la Yamuna!


J’étais alors le prince des amoureux
et le plus beau des Rois!
Et tous les gynécées de l’Inde
embaumaient de mon parfum
et toutes les jeunes femmes distinguées
portaient mon image sur leur poitrine!


Hélas! C’était le temps
où je ne tolérais la présence sur ma couche
de la même jouvencelle
pendant plus d’une nuit
et où je ne faisais aucun cas
des qualités d’âme éventuelles
de mes maîtresses!


Et, plein d’orgueil juvénile,
j’écartais l’une après l’autre
les jeunes personnes qui avaient la faiblesse
de s’attacher à moi!


C’est ainsi que, sans même m’en apercevoir,
j’ai blessé une damoiselle
au nom de Hatanena
qui, désespérée de se voir refuser
toute attention de ma part,
se pendit au plus haut palmier du Bengale!


Or, elle n’est pas morte
sans me maudire!


Voilà pourquoi aujourd’hui
je pleure comme un humble laboureur
dont la récolte aurait été détruite
par une grêle intempestive
ou incendiée par des ennemis!


Et toutes les dames et même les paysannes,
ne s’apercevant même pas de mon existence,
se détournent de moi
par indifférence!


C’est ainsi que j’expie
la mort de la plus belle
d’entre les belles!


Car il est un OEil de Justice
qui voit tout
et il est une Némésis
qui châtie tout acte
ayant pour mobile l’orgueil
et la démesure!


YEUX DE LOTUS

RECUEIL INEDIT-DU 21 AU 30 JUIN 2007