La Nef Folle


Pris dans un tourbillon de mouettes,
je regarde passer
comme dans un rêve la nef folle
transportant le blé, ce Prince de la Terre
ivre de soleil zénithal,
le riz, ce Protecteur des unions
et amant de l’Eau,
le maïs, cette cigogne
nourricière des Amériques,
l’orge, cette nymphe des plaines
donatrice de nos trésors,
le coton, cet Hégémon du corps,
le lin, ce noble rejeton
du ciel d’Egypte,
l’avoine fantasque,
le foin, offrande au Pégase,
ce dieu ailé,
monture des amoureux,
l’herbe fleurie,
ce cadeau aux brebis
du firmament,
la vigne, cette fidèle
servante de Bacchus,
lui-même fidèle
à ses racines chtoniennes!


Et je vois
cette nef fauve
chargée d’abricots célestes,
de cerises nuptiales,
de pêches royales,
de pastèques souveraines
et de melons
de la Perfection,
remonter le fleuve
de l’été,
entre les terres embrasées
en extase,
dansant des sarabandes
lascives
au son des guitares
larges comme la mer,
très vite évoluant
vers les danses universelles
de la folie d’aimer
et de la flamme cosmique
qui réunit les Principes contraires
du masculin et du féminin!


Car propice est l’été
à la guerre d’Eros
qui livre simultanément
des millions de batailles,
d’avance gagnées,
contre la glaciale
carapace humaine
et se rend maître
des citadelles imprenables,
les transformant en cadavres
de l’Orgueil inique!


Ainsi, grande est la puissance
d’Eros,
puisant sa source
dans la physique des sphères
et dans la métaphysique de l’Ether!


Et le poète,
Aède ou Barde
ou Troubadour,
est l’Hercule de l’Amour,
la Colonne corinthienne
que Callisto fait tressaillir
et vivre
de la vie libre
des cimes animées!


ORIFLAMMES DE GRENADE

EDITIONS ENCRES VIVES. COLL. LIEUX. JUIN 2000