La Coureuse


Ô Belle coureuse,
disciple de l’école des jacinthes
roses,
fidèle de la religion
des coquelicots!


Tu es un cerisier solitaire
dominant à perte de vue
la plaine vierge!
Tu es un genêt fulgurant
chantant l’éclair
du Printemps!
Tu es une guitare
posée comme une montagne
sur le sol plat!
Tu es un fin bercement
de Paradis!
Tu es une noria
apportant l’eau
tant espérée!


Tu es le Guadiana
courant par la Mancha,
y pondant les lacs
de tes yeux,
de tes aisselles,
de ton sexe,
de ton genou!
Tu es une rivière
coulant au milieu du ciel!
Tu es une voie romaine
traversant la Castille
de Tolède jusqu’à Ségovie!
Tu es l’essence
du vent des caresses
qui vient des sierras!


Tu es la danse
de la vérité,
la danse de Dieu,
avec l’Âme,
de la substance
avec l’existence!


Tu es un blé
flottant dans une mer
d’anges!
Tu es la grâce terrible
du firmament pur
de nuées!
Tu es l’immensité d’été
d’un champ de maïs!
Tu es la lascivité grave
d’un après-midi
de fin de printemps!
Tu es la couronne de laurier
du monde!


Tu es mon jaborandi
aux feuilles alcalescentes!
Tu es l’azur
de mon jacaranda en fleurs!
Tu es le kief que je fume
extasié!


Ton balancement,
pareil à la nutation de la Terre
autour de son axe de rotation,
est d’une volupté fascinante,
bien qu’ordonnée!
Ton allure
est un théâtre dansé
de tous les mystères!
Ta chair
est ce blanc kaolin
dont est faite
la porcelaine!


Tu es le doux jaguar
de la jeunesse!
Tu es le khandjar arabe,
ce long couteau
qui rompt le jeûne
de l’Esprit,
en vue du rêve
le plus beau!
Tu es le repos des Turcs!
Tu es le caravansérail
vers lequel se dirigent,
chargés de cadeaux,
les chameaux de mes désirs!
Tu es le souk
où tout s’achète,
tout, sauf la lactation de ton sein
et ton coeur unique!


Ton faste quasi jésuite
est le fin habillage
de ton âme janséniste!
Tu es le concours des gemmologues
qui se penchent sur la finesse
de la pierre de ton Être!


Tu es un jasmin hiémal
tout en or flamboyant!
Tu es le palmier
de la tranquillité!
Tu es la pavane assurée
de l’Infante d’Espagne!
Tu es la parade superbe
des tigres royaux
de l’Inde!


Tu es la baie
se dessinant à l’horizon marin,
pareille à la croupe
d’une pouliche accomplie!
Tu es la cloche vitale
sonnant le carillon
sur le chemin de la Lune!


Car tu es la rue des étoiles
bien tracée dans la Terre,
cette Mère du sublime!


SAVANES DE ZEBRES

EDITIONS ENCRES VIVES. NOVEMBRE 1999