À la Très Fauve


Ô Très Extravagante!
Ô Très Bonne!
Ô Très Fauve Madone!


Ô Valseuse des atomes!
Permets-moi
de rendre un culte solaire,
quoique universel,
à ta tête superbe,
que les blés de Juin
baisent
de leurs corps de gloire,
de leurs yeux exaltés
de braises et de rubis,
de leurs pas balancés,
de leurs hymnes
à la déesse de la Maturité,
de leurs antiennes
adressées à Korè,
cette vierge
épousée par Hadès
et qui revient chaque printemps
pour ressusciter le chant,
transpercé par les automnes,
de la Nature Libertine
et Auguste!


Si la Nature
se retient dans des liens contraignants
et fatals
de par ta mort certaine,
tu t’imposes pourtant à elle,
par la douceur de ta peau,
pareille dans son onctuosité
au beurre des taures
du Soleil,
et qui te rend digne
de t’unir à un dieu,
toi, cette mortelle
dont la beauté
est supérieure à la beauté
de la crème de lait
et de la fleur de farine
et dont le parfum
surpasse l’arôme du romarin
et l’essence du jasmin!


Et de par tout ton être
odorant,
tu es une herbe de Provence
qui guérit des grands maux
de la Non-Existence,
du Non-Désir
et du Non-Amour!


Mais prends garde,
toi dont la sagesse
est sujette à controverse,
que la folie humaine
qui te guette,
t’ayant maculée toute entière
comme tout ce qui,
une fois né,
est condamné à disparaître
dans le mouvement insondable
de l’Eternité,
que l’humaine folie, dis-je,
ne te pousse pas
à vouloir contempler
Zeus, ton Ravisseur,
Zeus, ton Aimé,
revêtu de sa foudre
et de tout son pouvoir insigne!
Car une fin atroce
te surprendrait dans la plénitude
de ton extase!


Tu n’aurais alors
que la consolation
Surnaturelle
d’avoir donné naissance
d’une étrange façon,
telle l’antique Sémélé,
à un nouveau Bacchus,
au Dionysos Re-Né,
le Quatrième depuis Zagreus,
le Premier après Sabazios!


Car telles sont
les tribulations
de la Beauté,
et tel est parfois
le châtiment qui la frappe,
en raison de son Inquiétude,
de son Insolence,
de son Extravagance,
de sa Démence!


Que cependant
ce doute
et cette incertitude
qui planent sur ton sort
ne te tourmentent pas
trop!
Qu’ils ne t’arrêtent pas surtout
dans ta volonté de vie!


Mais, ô Splendeur de myrte,
ô Solitude de fleur
de citronnier,
ô Délicatesse de fauvette
des jardins,
ô Lueur de prunelle
de lampe indienne,
ô Musique de luth arabo-andalou,
ô Nuit de guitare sarrasine,
ô Art d’ouvrage de Lune,
n’oublie pas d’emporter
dans ta course terrestre
ton Amant,
le divin Instant,
de tous les chagrins
le Consolateur,
de toutes les douleurs
le Berceur,
de tous les ravages
le Réparateur
et de la Jouvence
le Fontainier!


SAVANES DE ZEBRES

EDITIONS ENCRES VIVES. NOVEMBRE 1999