Prière à un Prunier Sauvage


De l’ancienne beauté,
les seuls vestiges qui demeurent
sont la lune, la neige,
les pruniers fleuris et les faisans dorés!


Ce sont là des choses prodigieuses,
d’ailleurs les seules que je connais,
moi qui ne connais personne!


Mais un homme sensé
peut-il vivre de la lune, de la neige,
des fleurs de prunier et des faisans?


-Cela est impossible,
répond le sage!
Car l’essence du bonheur
gît dans l’amour
qui dure éternellement!


À cet égard, il me souvient tout à coup
de ce court poème,
écrit il y a mille ans
par la poétesse nipponne Izubi Shikibo:
«Pour avoir un heureux souvenir
dans l’autre monde,
je voudrais encore
te rencontrer aujourd’hui»!


Ô ma Bien-Aimée
dont le corps est pareil
à un cri de mouette rose
et dont l’âme est un hommage
à la Déesse-Soleil Amaterasu,
oui, toi, ô Bien-Aimée
dont les traces se sont éteintes
sur le chemin de montagne
qui t’a vue partir,
je souhaite ardemment,
afin de bien mourir,
que tu réapparaisses aujourd’hui!


Or, j’aspire à un apaisement
emprunt de nonchaloir!
Car, privé de ta présence,
mon coeur ne connaît aucun repos
porteur de rêve!


Que je me trouve en plaine
ou en montagne,
sur le continent ou dans les îles,
en Orient ou en Occident,
la même angoisse m’étrangle!


Oui, je suis l’échoué de l’Orient
et le rejeté de l’Occident!


L’Orient est un désert embrasé
où en vain clame
la voix de l’ermite!


L’Occident est pareil aux rochers
de la rivière Naniwa,
tant redoutés des mariniers,
et qui sont les rochers même
contre lesquels j’ai failli me briser
au milieu de l’indifférence générale!


Oui, je désire violemment
que tu réapparaisses!
Toutes mes prières,
accompagnées d’offrandes d’étoffes
et de miroirs aux Dieux et aux Déesses,
vont dans ce sens:
que j’entende à nouveau
ta douce voix,
pareille à la musique
que fait la neige
en tombant sur les bambous,
et que je rebaise ta figure
encore aujourd’hui!


Sache, ô mon prunier sauvage,
sache que seule la vie monastique
au pays du soleil levant
me console de ton absence,
car, grâce à elle,
mourir, c’est aimer,
aimer, c’est mourir un peu!


LA PECHEUSE D'ALGUES

RECUEIL INEDIT. DU 20AU 27 JUILLET 2007