L’Illumination


Ô émeraudes nées de la terre du Pakistan,
ô saphirs qui germez dans le ciel de Lahore,
et vous, perles de Sri Lanka,
écoutez, oui, écoutez le récit véridique
des aventures qui me sont survenues
par une belle après-midi d’été!


Or, il était quatre heures de l’après-midi!
C’était une belle journée d’été,
une de ces journées qui respirent
la liberté d’un nonchaloir infini
et la chaleur amoureuse!


J’étais assis sur ma terrasse fraîche,
à l’ombre des fleurs du Coran
et je fumais un narguilé
qui embaumait la rose!


Une brise merveilleuse soufflait,
venue de la mer,
quand, tout à coup, un frisson d’aise
parcourut tout mon être,
quelque chose comme un chant
de houris du Paradis
qui sur les ailes du rêve
remontait les circonvolutions de mon cerveau,
siège de mon âme!


C’était la même sorte de frémissement
que celui qui surprend un lion du Bengale
flairant une antilope!


Oui, c’était comme si je voyais venir
vers mon palais
une théorie de génisses de Nagare
couleur de neige,
ou des palanquins qui transportaient
des courtisanes au rire harmonieux,
à dos d’éléphantes blanches!


Et, tantôt je croyais voir apparaître
quelque belle du Pendjab
dont le bassin se tendait et se détendait
pendant la danse orientale,
ainsi qu’un boa s’enroulant ou se déployant,
lourd de ses anneaux en filigrane d’or,
ou ainsi qu’un jet d’eau
jaillissant comme un tigre du Népal,
puis retombant dans son lit
comme une chatte persane,
tantôt je croyais entendre
la mélodie d’une beauté ineffable
émanant d’un luth indien
et inondant à flots d’argent
la haute tour où je me trouvais!


Parfois, quelque chose comme le roucoulement
d’un pigeon immaculé
se faisait entendre discrètement
ou quelque chose comme un bruissement
de palmes heurtant leurs dattes!


C’était comme si, d’un instant à l’autre,
je changeais de contrée et de climat
et tantôt je croyais voir
les tamarins majestueux des îles de l’Inde
se pencher sur moi,
tantôt je croyais toucher les chevelures
des fins tamaris d’Europe!


Et, à un certain moment,
il m’a semblé que la figure de Mahomet
venait s’incruster dans l’anse
de ma tasse de café
ou dans ma petite cuillère ottomane,
dansant entre des versets du Coran!


Ô Nurdjéhab, lumière du monde,
était-ce toi qui me rendais visite
dans ma demeure princière,
ou bien était-ce toi,
ô Nurmahal, lumière de mon quartier,
qui chantais un air traînant d’Iran
ou venais-tu me rendre l’hommage
que doit à son Roy
la plus belle des danseuses
de ce monde?


Quoiqu’ il en soit,
je me sentis inondé de pure lumière
et je me suis mis sur-le-champ
à caresser les pouliches blanches
que je rencontrais dans la rue
et à distribuer des oeillets rouges
et des jasmins blancs
à toutes les vierges lahoriennes!


Ces événements singuliers
qui n’arrivent qu’une fois
pendant toute la durée d’une vie humaine,
préludent, dit-on,
à ce que les bouddhistes appellent
l’illumination intellectuelle
et qui consiste dans l’entrée,
à travers la glande pinéale
située au sommet de notre tête,
d’une quantité illimitée
de lumière venue du soleil levant
de l’Esprit
dans notre cervelet,
puis, par le coeur,
dans tout notre être!


LE PRUNIER DE L'AME

RECUEIL INEDIT. DU 28 JUILLET AU 02 AOUT 2007