Les Paroles de la Brise


Aujourd’hui, à l’aube naissante,
j’ai rêvé de ma délicieuse Bien-Aimée
et voici les paroles que je lui disais
dans mon sommeil paradoxal
et qu’a recueillies la brise matinale
qui à cette heure enveloppait
d’un cocon paradisiaque ma chambre
livrée à la félicité:
«Moi qui ai perdu mon coeur
et toute ma vie presque,
que n’ai-je perdu aussi
ma faim et ma soif insatiables
de ta beauté
plus rare, il est vrai, que l’or,
le platine, le cuivre,
les gemmes et les perles?


«Comme une panthère de Java,
jamais je ne parviens
à me rassasier de ton incomparable corps
et à incorporer dans mon haleine
ce souffle merveilleux
qui t’anime toute entière!


«Ô ma source vive,
illuminée par la beauté de l’art lyrique,
délivre-moi du tourment de la soif
et de toutes les peines
qui en découlent et en procèdent!


«Les baisers rares
que j’ai pu dérober à ta bouche
sont à tes lèvres en fleur
ce que le chant du rossignol
est à la beauté des roses!


«Sans toi, je serais une contrée
sans vigneraies
et un automne sans vin,
car sans vendange!


«Mes lèvres, consumées par l’ardeur
du Chien de l’été,
forment le voeu pour les nuits de Chypre,
déjà si embaumées,
qu’elles soient encore plus embaumées,
mais du parfum de tes tresses noires!


«Ô beauté au visage de lune,
mieux vaut pour moi
souffrir ce que j’endure
du fait de toi
que porter le manteau de pourpre
de l’Empereur de Byzance,
le sceptre du Doge de Venise
ou les insignes d’un échevin de Bruges!


«Et je préfère, et de loin,
avoir sur ma tête
le diadème d’épines
que tu m’as offert à ma naissance
plutôt que la couronne du Roy de France,
Louis le Bien-Aimé!


«Parvenu un jour jusqu’au seuil de ta demeure,
je me suis arrêté devant ta porte
en bois de rose
et je me suis retourné sur mes pas,
car je n’ai pas eu la force
de te faire face,
ô toi dont un seul regard dédaigneux
peut me tuer!


«Oui, j’aime mieux que le vent du Nord
se charge de te transmettre
mes messages écrits
plutôt que de t’affronter directement!


«Et ceci est précisément mon supplice:
c’est de ne pas souhaiter
ce que je désire le plus au monde,
avoir un entretien avec toi,
sans voile ni intermédiaire!


«Ô toi dont la beauté
agit sur mon âme,
à la façon d’un vin vieux de Malvoisie,
je désire que le sang de la vigne
contenu dans cette coupe
se transmue par l’effet
d’un mystère sacré
en ton propre sang,
de manière à ce que je puisse
te boire à mon saoul!


«Puisse alors la foule des passants
tomber en extase
devant le spectacle que nous lui offrirons
et nous tendre la guirlande des Aimés!»


Voilà donc ce que la brise a retenu
des paroles que je disais en rêve
à ma Bien-Aimée!


Et au sortir de ce rêve,
je me suis souvenu
de ce distique de Hafiz:
« Quel est donc le prix des larmes
au regard de l’Amour?»


LE PRUNIER DE L'AME

RECUEIL INEDIT. DU 28 JUILLET AU 02 AOUT 2007