Ode Orphique à la Très Belle


Assise sur un large sofa
tendu de velours de Damas
et dont tu caresses avec tendresse
de tes mains effilées
les coussins tigrés
ainsi que des peaux de faons,
tu m'adresses de fort doux propos,
cependant que ton genou est plié,
tes cuisses étendues sur le tissu cramoisi
comme les rames de sapin
d'un antique navire de chêne
dans la mer étale,
la hanche au repos,
immense, glauque
et poissonneuse comme Amphitrite,
la vulve épanouie
et grande ouverte comme une rose mûre
aux cent délicieux pétales
qui embaument comme aux premiers jours de Mai,
tant aimés des rossignols,
et la chevelure opulente
pareille à la flamme
du bûcher d'un taureau
sacrifié à Bacchos,
dressé sur le rivage
et allumé avec du bois de pin sec!


Et tu me tends une coupe d'or,
constellée de saphirs bleus,
et qui contient un breuvage royal
fait de farine d'orge de Déméter,
de sang de taure
et d'eau de mer!


Et moi de boire la capiteuse boisson
en hommage à toi, ô Très Chère
dont le buste, embrasé de diamants vermeils,
est déjà un commencement d'hymne,
le ventre très lisse
une métaphore de la plaine d'Hémonie,
la plus vaste de Grèce,
la bouche plus avide de baisers
que le bec d'une colombe
à la saison des amours,
le visage l'Aube sacrée
chantée par les ascètes
des monastères de Sinaï
et les prunelles des yeux
le ciel étoilé d'Athènes
vers lequel s'élancent du sein de l'onde
les daurades grises ou roses,
cependant que dans le détroit d'Euripe
monte la marée étincelante
de ton regard fulgurant comme la jeunesse!


Je commence une onde orphique
qui comme un vent très puissant
déracinera de très hauts chênes
et les fera couler à mes pieds!


Ce sera un chant d'une force telle
que les pierres se détacheront
des montagnes les plus imposantes
qu'elles dévaleront
ainsi que des torrents de cristaux de roche
resplendissants comme des soleils,
cependant que moi, couronné d'oiseaux,
je donnerai à boire
aux fauves rassérénés
mes paroles plus suaves
que le jus de raisin!


En effet, je rêve que je suis debout
sur la proue de l'Argô
et que je conduis vers la Toison d'or
les Argonautes
et que je chante sur ma cithare tendue
les chemins de la mer vierge,
les Bienheureux de l'abysse
et le Temps dévoreur de nos vies
et Eros, le plus sage d'entre les Dieux,
le Premier-Né ou Protogonos,
et l'Autonome et Parfait
et Aphrodite, Sa Mère,
la Déesse de la Beauté ouranienne,
portée aux voluptés grecques de l'été
et qui fait germer
comme un rayon de miel
dans l'esprit de l'aède
des moissons plus éclatantes
et plus belles que jamais!


RACES DE SOLEIL

RECUEIL INEDIT. OCTOBRE 2005