L’Egaré de l’Amour


Pourquoi aurais-je peur de périr
de la main d’un ennemi,
puisque deux fois par le passé
je mourus d’amour
et que tous mes poèmes,
tous mes hymnes,
c’est avec le sang de mon coeur
que je les ai écrits!


Qu’aurait-il à craindre
quelqu’un qui se serait égaré
dans la jungle de nos villes homicides
et anthropophages,
loin du chemin de l’Amour?


Comment quelqu’un de déjà égaré
s’égarerait-il?


Comment un va-nu-pieds
pourrait-il craindre de perdre ses biens?


Un offensé et humilié
pourrait-il craindre les offenses
et les humiliations?


En fait, aucune douleur
et aucun chagrin ne passent en barbarie
ceux que j’ai déjà subis
sur le bûcher où,
aujourd’hui comme hier,
l’on brûle les hérésiarques
et les maîtresses sorcières de tout crin!


Et bien que ne partageant aucunement
les croyances des Manichéens,
j’ai, cependant, été comme un Cathare
supplicié dans divers cachots féodaux
disséminés à travers le Midi,
avec la complicité du peuple
qui me considérait
avec indifférence,
mais, en réalité, avec une haine
à peine dissimulée!


Combien de jeunes gens
et de jeunes filles n’ont-ils ri
devant le spectacle que je leur offrais
de par mes souffrances?


Or, comment pourrais-je aspirer
au Paradis des justes
après mon départ de la terre,
puisque le paradis pour moi est
la chevelure de la Bien-Aimée
au goût d’orange douce
et sa croupe tissée d’amarantes?


Oui, la vie éternelle,
c’est pour moi une brise merveilleuse
soufflant de la mer
en plein mois d’Août,
un soleil léger ainsi qu’un hippocampe
ou qu’un pivert
et des eaux vives
coulant à proximité de l’endroit
où j’écris et je pense
ou une source cachée
dans le feuillage d’une forêt
et qui clapoterait à faire envie à un fleuve!


Je mentirais à moi-même,
si j’affirmais que la félicité
est chose facile
et à portée de tous!


Le bonheur est réalisable
seulement pour quelques appelés
qui toute leur vie
ont été ivres, enthousiastes, exaltés,
voire prodigues,
et qui n’ont joué aucun jeu,
si ce n’est le jeu de l’Amour!


Et moi qui me montre si courageux
face aux périls les plus graves,
devant la Bien-Aimée, la Belle de mon âme,
je baisse les yeux!


Car comment un poète
pourrait-il supporter l’éclat
d’un soleil de Juillet?


LEVRES DE LUNE

RECUEIL INEDIT. DU 3 AU 8 AOUT 2007