À une Courtisane
Par les rues pleines de faste
de Leptis Magna,
ville romaine d'Afrique,
sous les aigles
de Septime Sévère
qui flottent
dans la voie des temples,
je me dirige rapidement
vers le quartier des courtisanes,
ton quartier,
où, sous les colonnades bleues,
des jeunes femmes
aux boucles d'oreilles
pareilles aux Lunes de Saturne,
aux bracelets
d'écailles de tortue,
aux colliers
de corail de Tunis,
aux bracelets de pied
or et saphir,
se livrent
au plus fantasmagorique
des négoces
dirigé par la Déesse antique
de Carthage
et inspiré
par la Déesse égyptienne
de la beauté,
Nefertari!
Des poussières d'astres
adornent la chevelure
de ces filles de joie
impériales!
Du sang romain
coule dans leurs veines,
mêlé aux sangs indigènes
ou phéniciens
qui bouillonnent
dans cet athanor
en chair et en os!
Le charme de leur corps
est, pourtant,
celui des mangeuses de lotus,
ces Libyennes
aux cheveux diamantins
qu'elles mettent en désordre
quand la douleur
les assaille
et qu'elles parent
de roses écarlates
quand le bonheur
les attire de son côté!
Courtisane toi-même,
fille de citoyen romain,
mais dont les origines
se confondent avec l'azur
de Tripolitaine,
tu pratiques le beau commerce
pour le salut de ton coeur,
au péril de ta jeunesse!
Rassure-toi, cependant,
sublime princesse de joie!
Tes fesses
gagneront en fermeté
et en luxe transparent
à être caressées
par les mains fines
de tes amants de circonstance!
L'éclat de ta peau,
miroir où penchent
leurs têtes ébouriffées
les poètes,
augmentera à être ainsi
le point de mire
de tous les voeux humains!
De tes longues prunelles
sourdra la fontaine
de la tendresse,
cependant que tes regards
apprendront la caresse,
ce secret intime des vivants
qui conquiert l'âme confiante
des Sages!
Ton sein
luira de plaisir souverain
comme un lavoir en plein air
brille du labeur
de centaines de lavandières
africaines
ou comme une pierre précieuse,
luit des baisers des amoureux!
Et il servira de modèle,
par sa forme
et par le tissu
dont tu le vêts,
pour la construction des théâtres
tendus d'un vélum de rubis
afin de protéger
du Soleil torride
des midis terribles
et qui évoque
ton fier bustier rouge!
Le mouvement de ta croupe léonine
t'attirera l'admiration
des athlètes les plus courageux
et inspirera
aux plus grands des bardes
mille hymnes à ta gloire
qui est objet de vénération
de tous les guerriers solaires!
Continue, ô fille heureuse,
ô maîtresse de musique
ingénieuse,
continue à t'abandonner
à cette activité
qui, à chaque pas,
te fera inventer
l'Amour romain!
Ô ma voix de cajou,
ô mon petit anacarde,
désapprends à mourir
à petit feu,
enseigne l'Aimer!
Et au bas de l'escalier
du palais du Gouvernement
les armées de Rome
rassemblées
t'acclameront,
ô petit jasmin maure,
ô hirondelle numide,
ô nef carthaginoise,
impératrice de la Volupté!
SANG ROMAIN
EDITIONS ENCRES VIVES.COLL. ENCRES BLANCHES. FEVRIER 2001