L’Aigle et les Colombes

Sur le chemin qui mène à la taverne,
il arrive parfois que des jeunes filles,
délicieuses comme le sucre candi
et rouges comme les roses de Chiraz,
s’enfuient devant moi!


Les colombes ne fuient-elles pas
devant les aigles,
les jeunes brebis et les tendres chevreaux
devant les loups,
les biches aux prunelles magnifiques
comme des mirages
devant les lions rugissants,
à la gueule ensanglantée,
les souples gazelles
ou les zébresses bicolores
devant les léopards bondissants
et, enfin, les hases véloces
aux beaux yeux
devant les majestueux chiens
du Ménale?


Ô vous autres charmantes demoiselles,
roses aux épines cachées,
que n’atténuez-vous pas
le balancement de vos fesses,
l’éclat de vos yeux
et l’opulence de vos tresses?


Car, si tel n’est pas le cas,
vous risquez de faire beaucoup de victimes
parmi les innocents
qui, avec raison, vous regarderont
pleins de désir!


Hélas! Si on vous connaît,
c’est à cause de vos passions,
autrement plus périlleuses
que la mienne, somme toute naïve
et sans danger pour vous!


Il est vrai que parfois
une folle envie me prend
de soulever dans mes bras
l’une de vous
et de l’emporter comme une proie,
tout en lui tenant
des propos fort galants!


Or, un tel comportement
serait indigne d’un savant
et tous les sages sont célèbres
pour l’absence de tout trouble
frappant leur tranquillité d’esprit
qu’ils posent comme un dogme inébranlable!


Et même pour un libertin,
l’ataraxie est souhaitable
comme pour un élève d’Epicure,
voire d’Aristippe de Cyrène!


Cependant, il m’arrive aussi,
quand je reviens de la place publique
chargé de fruits spirituels,
d’être craint des jeunes femmes
qui me prennent alors
pour quelque Roi redoutable
qui sort de la forêt
à la tête d’une horde
de guerriers sauvages
ou pour quelque ermite hirsute
qui a longtemps séjourné
dans un souterrain sans lumière,
mais investi de la science
des cinq continents!


Ô jouvencelles chères à mon coeur,
au lieu de me craindre
ainsi que des perroquets sots
ou des cacatoès stupides,
ne feriez-vous pas mieux
de me communiquer votre joie
par un signe de tête
ou un geste de la main,
cette joie que sans doute
je partagerais avec vous,
moi qui suis votre chantre
et le troubadour de la liberté
qui est la base du bonheur
et le fondement de la joie de vivre?

LE BLASON DE FAIENCE

RECUEIL INEDIT. DU 25 AOUT AU 1ER SEPTEMBRE