Le Règne des Machines


Et que valent dix mille navires d’acier
ou dix mille gratte-ciels
en verre poli
oi dix mille camions remplis de marchandises
et parcourant à vive allure l’Europe,
l’Asie et le Nord de l’Amérique
ou dix mille trains
bondés de voyageurs pressés,
oui, que vaut tout ce rutilant empire
des machines conçues et fabriquées
par ce que les Grecs appelaient Métis,
c’est-à-dire la Ruse,
en vue de la simple survie individuelle,
plutôt que par la véritable Intelligence
ou le Logos
qui ne peut être tourné
que vers la théorie,
la Contemplation?


Oui, que valent dix mille avions géants,
face à un couple de laboureurs enlacés,
dormant à midi
dans les blés fauves
et sous un soleil d’or,
gros comme une pastèque?


Que sont mille ponts suspendus,
face à une génisse toute blanche
s’unissant à un taureau blanc
sur un pâturage
doux comme le miel attique?


Et que valent tous les empires
fondés par les grands argentiers du monde,
comparés à l’oranger
à l’ombre duquel rêve un trouvère
qui refait notre Terre
selon la Justice,
oui, selon les lois de Thémis,
la Mère des Heures
et des Parques?


Ô Bacchus, n’est-ce pas Toi
qui, en plus du vin libérateur,
inventas le miel,
et, plus particulièrement, le miel
que donnent les fleurs de thym?


Or, le miel nous sert
à établir la comparaison
entre les sciences dites dures
ou positives
et qui sont chargées d’une acidité nocive
et un authentique Art littéraire,
suave comme les gâteaux de miel
que dans l’antiquité on offrait
aux Dieux et aux Déesses
et, surtout, à Dionysos et Aphrodite!


Oui, la saveur du miel blond
nous sert de critère
pour opposer à l’absence totale de saveur
de l’édifice supposé scientifique,
la succulence de l’Art poétique
gouverné, en Europe tout au moins,
par les Muses grecques
et les Camènes latines!


Or, je suis en désaccord sur un point
avec les poètes qui m’ont précédé,
car je vois mal
ce que le règne des machines
peut apporter à l’homme et à la femme:
Rien, si ce n’est un confort
acheté au prix d’une sensibilité humaine
devenue en un siècle
une tour de béton et de verre!


Ô Guillaume Apollinaire,
et toi, Maïakovski,
comment avez-vous pu imaginer
que les machines pourraient contribuer
à l’élévation des hommes?
C’est l’inverse qui est arrivé,
l’homme et la femme se sont rapetissés
et leurs défauts se sont accrus
à une vitesse géométrique!


Et voilà, prophétisé par Nietzsche,
le règne du plus petit des hommes,
devenu réalité!


L'ORANGER DE GRECE

RECUEIL INEDIT. DU 24 AU 29 SEPTEMBRE 2007