La Douce Chanson du Crépuscule


Quand j’étais un jeune homme,
n’ayant pas encore passé par l’épreuve
d’une douleur véritable,
je rêvais de rivières impétueuses
au cours rendu furieux
par la mousson,
ou de fleuves brésiliens
au lit gigantesque, immense, colossal,
ou de jungles touffues,
voire d’Amazonies infernales
où à chaque pas l’on risque de mourir
étranglé par un boa
ou mordu par un singe
ou mordu par un gros insecte
ou dévoré par un alligator!


Oui, je préférais, plutôt que de vivre
la vie saine de la jeunesse
des temps classiques,
subir les typhons, les tempêtes
ou les ouragans tropicaux
et toutes sortes d’autres
phénomènes étonnants,
tels que tornades
ou éruptions de volcans!


Plus tard, devenu plus sage,
je rêvais, tel un Peer Gynt,
de voir Anitra dérouler les anneaux
de son corps de serpent
sur le sable blond d’un désert du Maroc
et je croyais sincèrement
pouvoir me faire aimer
d’une semblable créature!


Maintenant, parvenu au seuil de la vieillesse
et ayant palpé le Néant
sous la rhétorique creuse du siècle,
je sens plus proches du Seigneur
les cabanes de pêcheurs
sur le rivage égéen ou ionien
ou même les petites maisons proprettes
d’un village du Pélion
que les titanesques et sombres
cathédrales de l’Occident!


Honnêtement, un caïque qui sort
d’un petit havre de Béotie
pour aller voguer en haute mer
ainsi qu’une nacelle de nacre
a plus d’écho en moi
que toute la cohue des avenues
d’une métropole américaine!


Et, quoique désespéré,
je chante les ciels
immuablement bleus
du Grand Midi!


Ma seule ambition en ce moment
se réduit à rêver de soulever un jour
dans mes bras
ma Bien-Aimée
et de marcher avec ce doux poids,
éternellement,
sur le chemin large de l’existence!


Oui, entendre,
au milieu du silence
d’un crépuscule à la campagne,
la chanson de la femme qui m’attend
et qui m’espère humblement
depuis sa jeunesse première,
telle me semble désormais
la cime de la félicité
à désirer
et à souhaiter sur cette terre
où rien n’est plus grand
que l’Amour,
où rien n’est plus sage
que d’aimer!


ECLAIRS DANS L'AZUR

DU 27 OCTOBRE AU 3 NOVEMBRE 2007