L’Ecouteur des Rossignols

Je languis dans cette cité
où la gent est si cruelle
qu’elle confond le saint art d’aimer
avec la science obsolète des courtisanes
et l’Amour en soi avec la licence,
lui ôtant ainsi
toute délicatesse de rose et d’oeillet,
tout prestige moral
et tout parfum d’ambre et de santal!


Ô Bien-Aimée qui sais si bien
faire l’eau de rose
et chanter délicieusement
des chansons de sérail grand moghol,
longues comme des litanies
de miel et de vin de dattes,
sache que je désire désormais
mener joyeuse vie!


Oui, je m’enivrerai,
pendant la saison du Chien,
d’eau glacée,
et aux beaux soirs d’hiver
je me griserai de vin de Porto
ou de Samos,
assis au coin du feu!
Et j’écouterai avec délices
les mélodies entraînantes
de l’orgue de Barbarie oriental,
mêlées aux sons des clochettes!


Oui, je me ruinerai
dans quelque taverne persane
ou dans un café colonial de Bombay
ou de Calcutta
ou dans quelque fumerie d’opium
à Saigon ou à Shanghai
ou dans une maison de saké à Tokyo,
entouré des plus affables
et des plus discrètes geishas,
de celles qui comparent
les choses de l’amour
à la neige qui tombe
sur un prunier en fleur
ou à un cerisier d’Avril
au pays de l’aurore naissante!


Je ferai tout cela
parce que je crois en ta force intérieure
et en tes mains fines
et que je ne veux point
être le complice de la gent mesquine,
si avide de mouvement!


Car j’ai solidement ancré en moi
le goût des choses du passé
et n’apprécie que l’immobilité,
ne désirant plus
qu’être un contemplateur de nuées
et un écouteur de fauvettes
et de rossignols!

LA FONTAINE DE RUBIS

RECUEIL INEDIT. DU 22 AU 30 JANVIER 2008