La Sultane et le Mamelouk


Je suis le mamelouk très obéissant
et très zélé
de la Sultane de l’Amour
qui me tient sous la prunelaie fleurie
de ses seins glorieux,
agréablement gonflés de lait,
compacts comme le granit
et élastiques comme l’acier
ou le caoutchouc!


Et elle me garde prisonnier,
ainsi qu’un canari
dans la volière d’or
de sa croupe royale,
tant compatissante envers ma douleur d’aimer
qu’elle est devenue peu à peu
l’unique remède
à mes innombrables,
à mes indicibles peines
et, en même temps, leur cause principale!


Dire que je l’ai achetée
pour cent francs-or
ou dix ducats
au marché d’esclaves blanches
de Tombouctou!


Comme elle était belle
quand je l’ai aperçue
pour la première fois,
alors qu’elle était entourée de courtiers
qui faisaient cercle autour d’elle!


Quelle peau que la sienne,
pareille à l’eau
d’un clair ruisseau du Liban,
quel torse de roseau que le sien,
et quel derrière!


Malgré le passage des années,
elle est restée aussi belle
et aussi désirable
qu’au premier jour!


Car le propre du sage,
et de l’homme de goût en général,
est de ne point se lasser facilement
des nourritures terrestres
et, à plus forte raison,
des nourritures de l’Esprit!


Or, me voilà transformé
en esclave de mon esclave
devenue désormais ma Souveraine,
voire mon despote!


Mais le poète andalou Ibn Ammar
ne disait-il pas
que seul l’homme libre
peut devenir l’esclave de l’amour?


Quant à moi, j’affirme,
à la suite des érotologues
des siècles passés,
que l’amour sans danger de mort
et sans risque d’asservissement
n’est pas l’amour,
mais une sucrerie fade,
sans aucune saveur!


Prends garde, homme naïf de ce siècle:
rendre plus pratique et plus aisé
notre séjour sur la terre,
c’est peut-être le rendre plus compliqué
et plus insensé,
et, c’est donc manquer de bon sens!


En somme, celle qu’avec raison
j’appelle ma Souveraine,
est une esclave chanteuse,
une qaïna, comme on dit en terre d’Islam,
c’est-à-dire une geisha,
et je suis le captif de sa ruse
et de sa perfidie!


Mais elle s’est prise
à son propre jeu
et elle s’est donnée à moi!


Depuis, elle partage avec moi
les joies, mais aussi les chagrins
inhérents à l’amour supérieure,
tout en demeurant mon monarque absolu,
cependant que moi,
je suis l’esclave
qu’elle foule aux pieds!


Et notre amour est devenue
une haute mer
où les goélettes qui s’y risquent
font naufrage!


LA SULTANE ET LE MAMELOUK

RECUEIL INEDIT. DU 29 FEVRIER AU 4 MARS 2008