Schamsennahar
Depuis le commencement
et, surtout, depuis que j’ai fait mon apparition
dans l’univers des belles-lettres,
j’ai été comblé de présents
consistant en or, en diamants
ou en perles
et de trésors de toutes sortes!
Mais une destinée étrange
éloigna de moi, de bonne heure,
mon amie d’élection,
la toute belle Schamsennahar,
la lune de mes yeux,
le soleil de mon sang,
l’atmosphère où mon coeur bat
et palpite!
Et, certes, je possède une gracile gazelle
que je monte par beau temps
et, dans mon verger opulent,
je puis à loisir contempler
une paonne merveilleuse,
d’un bleu tendre!
Mais la plus fine des gazelles
et la plus bleue
ou la plus ronde des paonnes
ne sauraient être comparées
à ma toute chère amie!
Car, ni l’une ni l’autre
ne possèdent le langage spirituel
et les manières exquises
d’un être galant,
surtout quand cet être
est une jeune femme du nom
de Schamsennahar,
ma pleine lune, ma liberté
et ma volupté!
Quand, malheureusement, j’ai su
que cette personne,
si aimée de mon âme,
s’en était allée pour toujours,
égaré par la passion
et affolé par la douleur,
je me suis mis à arpenter,
de jour comme de nuit,
les rues et les places publiques
de cette cité du Couchant,
aux jardins aussi luxuriants
que les jardins de l’Orient,
et où j’ai connu
la plus extraordinaire des vierges,
la lumière magique
qui éclaire mes entrailles!
Et j’ai cessé de boire et de manger
et ne voulais plus toucher
à aucune nourriture terrestre,
d’aucune sorte ou espèce!
Voyant ma mauvaise mine,
mes vêtements en lambeaux,
et mon jeune visage
dévoré par une barbe sale
de plusieurs mois,
les habitants de cette ville perdue d’Occident
pensaient, en leur fort intérieur,
que j’étais ravi en extase
et que mon âme était noyée
dans la contemplation de Dieu
ou, plus prosaïquement,
que j’étais un extravagant
qui était venu mourir
sur leurs seuils inhospitaliers,
devant les portes cadenassées
de leurs maisons fortifiées!
Or, en cette circonstance si hostile
et si périlleuse,
la seule vue de ma Bien-Aimée
aurait pu me guérir de la folie,
si folie il y avait!
C’est pourtant sous l’empire
de ladite folie,
que je me suis forgé la volonté
de construire un jour une oeuvre
semblable à un temple grec
ou à une pagode indienne!
Maintenant, après avoir bu
jusqu’à la lie
le calice de l’amertume amoureuse,
je regarde avec plus de sérénité
ces événements tragiques
de ma jeunesse passionnée
et je me dis que si j’ai guéri,
à force d’onguents et de pommades,
j’aurais pu arriver au même résultat,
s’il s’était trouvé alors
un mortel qui eût connu ma Bien-Aimée!
Cette consolation,
à elle seule,
m’aurait épargné bien de souffrances
et évité bien d’écueils!
Mais obscurs sont les desseins
de la Déité,
qu’elle soit un Dieu
ou qu’elle soit une Déesse!
CIELS EN FEU
RECUEIL INEDIT. DU 5 AU 10 MARS 2008