Le Trouvère qui Revient de Loin


Dans ma jeunesse égarée
sur les rivages de la mer occidentale
et les sentiers des plaines de France,
je composais des hymnes
semblables à des cathédrales gothiques
perdues dans les forêts de symboles
ou des Amazonies vierges
ou, enfin, à des jardins de Venise,
inextricablement labyrinthiques!


Et je prenais soin
de faire ressembler mes chants
à des cyclones dévastateurs,
à des ouragans ravageurs
ou à des tremblements de terre
destructeurs!


La furie qui imprégnait
mes odes d’alors
était comparable à la furie des troupes
de feu Roi de France François le Premier,
quand elles descendaient en Italie!


C’est que dans ma jeunesse,
le sens de la douleur,
comme d’ailleurs le sens de la vie,
m’échappait!


Et je ne rêvais qu’à des orages tropicaux
et qu’à des mers houleuses,
car mon âme était alors
ivre de bruit et de fureur!


Aujourd’hui, après avoir connu
dans ma peau
la vraie douleur
ou la vraie souffrance,
au lieu de ne parler
que de ma présente despérance,
je ne chante que les brillants automnes,
la fraîcheur délicieuse de Mai,
les blés hauts de Juin,
les longs crépuscules
du solstice d’été!


Et mon esprit
n’habite plus les sombres cathédrales
du Grand Nord,
mais les palais mauresques de Fez,
de Tanger ou de Grenade!


Au lieu de rêver de châteaux féodaux,
battus par les vents,
ou de quais inondés
et de jetées mouillées par les brumes,
je n’aspire plus
qu’à des après-midi paisibles
sur les plages orientales de la Méditerranée
et à des nuits d’été
sereines et embaumées,
annonçant des aurores à venir!


Or, celui qui a souffert dans sa vie,
ne peut supporter la tristesse
d’une pluie hivernale
où les chagrins deviennent étouffants
et où les ombres s’entassent
sur les terrasses,
ne pouvant pas être effacées,
même par une éponge!


Désormais, je passe mes journées
à humer la brise
et à boire la rosée!


Et des Immortels et des Saints
sont dorénavant mes serviteurs!


Oui, présentement les coupoles
byzantines ou ottomanes
constituent la trame
de mes rêves
doux comme le miel d’oranger!


C’est qu’elles évoquent
les seins de ma Bien-Aimée,
cependant que les courbes des montagnes
rappellent ses sourcils fardés!


LA FILLE AUX PRUNELLES VERTES

RECUEIL INEDIT. DU 25 AU 31 MAI 2008