À une Beauté Flottante
Ô Toute Bonne Aimée,
tu sembles flotter parmi les effluves de musc
comme les vapeurs d'encens
dans les églises byzantines,
comme les îles dans la mer Egée,
comme les anguilles dans l'Acheloos,
comme les serpents
qui en Orient dansent
au bout d'un bâton
tenu par le charmeur,
comme les jeunes épousées
sous la neige de leurs tulles,
comme les cascades d'Edesse,
comme les ruisseaux qui descendent
de l'Olympe au printemps,
comme les roses nouvelles
sous le zéphyr de Mai,
comme les épis mûrs
au lever héliaque de Sirius
dans l'été ardent,
comme le souffle du sirocco,
comme les nues qui battent le firmament
emportées par le vent vernal,
comme le pavillon du duc de Bragance
au son des tambours de la victoire,
comme la chevelure des chérubins
sous la brise de Céphisie,
comme les coraux au fond des océans,
comme les guépards amoureux,
comme les lionnes assoiffées,
comme les tigresses repues,
comme les tourterelles
qui sautent de branche en branche
sur un peuplier en fleurs,
comme une nef élégante
qui roule bord sur bord
dans la mer du Levant
battue des vagues de l'oisiveté
et du Léthé,
comme la cloche sonore
de Saint-Sulpice à Paris,
comme la musique des sistres
dans l'Egypte ancienne
et comme, enfin, l'horloge
de la Tour de Londres!
Ô la plus belle des Océanides,
comment ne pas me délecter
de ta présence,
précieuse comme une grosse émeraude
sur le diadème d'un empereur des Indes?
Le Seigneur n'a-t-il pas dit:
«Buvez le vin que je vous offre!»?
Et le Prophète messianique Isaïe
ne chantait-il pas
comme il suit:
«Voici venir le vin,
goûtez-en!»?
Et de même que Salomon,
le fils de David
et chantre lui-même
de la beauté des femmes,
recommandait aux Fidèles
de fermer les yeux
quand ils commencent à déguster
la divine boisson,
de même, moi, je ferme les yeux
quand je chante
un cantique extatique
ou quand je baise tes lèvres
plus porteuses de céleste plaisir
que les plus exquis
des vins de Malvoisie!
Et, si je ne crains point le châtiment
réservé aux anges déchus,
c'est que mon exaltation
devant la bonté de ta bouche
prouve mon absence d'endurcissement
sous l'effet d'une quelconque débauche
et, donc, mon innocence
et la pureté de mon désir!
LES TAMBOURS DE LA VICTOIRE
RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2006